Texte – Guillaume

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Guillaume

France Pétrequin, orthophoniste

 

 

 Au revoir, Guillaume ! 

– au revoir Mme P., merci ! dit Guillaume, encouragé par sa maman. Il s’acquitte gentiment de m’offrir le bouquet de freesias préparé pour l’occasion, le regard bien adressé, mais sans s’attarder outre mesure, pressé de s’assurer de ce qui l’attend après :  demain, je mange à la cantine, et c’est maman qui vient me chercher. 

Guillaume est un beau petit garçon de 6 ans et demi. Il vient d’entrer au CP avec l’aide d’une Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS). Aujourd’hui, nous nous quittons après quatre riches années d’orthophonie dans un Centre Médico-Psychologique. 

Bien que cet arrêt soit suffisamment anticipé, je ne sais pas si Guillaume en comprend le caractère définitif. En effet, rien ne distinguera cette séance des séances habituelles : il est entré joyeusement en relation, comme il le fait désormais après sa séance de psychomotricité :  bonjour, Mme P. !  au revoir, Stéphanie ! et a accusé réception sobrement lorsque je lui ai dit que nous nous voyions pour la dernière fois : d’accord !, impatient de mener sa séance comme d’habitude car il va droit à l’essentiel.

 

J’ai rencontré Guillaume à la demande de la pédopsychiatre qui l’a reçu au CMP. Il avait 2 ans 10 mois. L’inquiétude de ses parents remontait alors aux vacances d’été, période où ses troubles de la communication et du langage leur sont réellement apparus. L’été précédent, Guillaume avait commencé à parler ; dernier né d’une fratrie de trois, il était même plutôt en avance. L’année de ses 2 ans, la famille a été très occupée : un déménagement de la campagne à la ville, la reprise du travail de sa mère et, pour Guillaume, l’entrée à la crèche. C’est alors que le mot « autisme », avec toute l’inquiétude qui l’accompagne, s’était progressivement imposé et que ses parents avaient rapidement consulté plusieurs spécialistes.

À cette époque, c’est un petit garçon qu’on ne rencontre pas facilement mais qui peut accepter de courts moments d’interaction, notamment avec une médiation autour d’albums, de comptines ou d’encastrements. C’est plutôt lui qui initie la rencontre, tandis que si l’on s’adresse trop directement à lui il s’y soustrait, s’éloigne ou se montre indifférent.

 

Lors de notre première rencontre, il refuse d’entrer, pleure, fait une grosse colère, couché dans le couloir. Il sort du petit groupe auquel il a commencé à participer et pensait probablement partir comme d’habitude, montrant ainsi une importante intolérance au changement.

Lors des rencontres suivantes, il a du mal à quitter ses jeux dans la salle d’attente, dos tourné, ne répond pas spontanément à l’invitation de me suivre. Il va finalement accepter de quitter sa maman et me suivre seul pour une première observation orthophonique.

 

Communication non verbale 

Le visage de Guillaume est peu mobile mais quelques sourires, rires, mimiques de refus ou de contrariété lui permettent d’extérioriser ses ressentis ou plus exactement nous permettent d’avoir accès à ses éprouvés. Car il y a peu de franches mimiques intentionnelles, c’est-à-dire des mimiques qui lui permettraient d’agir sur autrui de façon intentionnelle. Pour le dire autrement : nous pouvons le décrypter tandis que lui-même n’exprime pas volontairement ses émotions.

Des échanges sont possibles à condition qu’on se centre exclusivement sur ses centres d’intérêt.

Son regard est le plus souvent évitant, mais pas toujours. Il y a des séquences brèves où il peut pointer une image, la nommer et rechercher notre visage pour confirmation (attention conjointe). De même avec l’appareil à bulles : Guillaume suit les bulles des yeux, montre son plaisir, nous sollicite pour que nous recommencions. Il refuse d’essayer de souffler lui-même. Des jeux de coucou/caché sont possibles brièvement et, en cas de difficulté (ouvrir la porte du garage de la petite maison, par exemple), il demande de l’aide d’un geste et d’un regard. Il se fait comprendre corporellement (secoue la poignée de la porte du bureau pour indiquer qu’il veut sortir).

Il pointe les objets convoités (pointage impératif signifiant : je veux ça), mais il n’y a pas de pointage déclaratif (pointage accompagné d’un regard vers autrui pour un partage d’expérience signifiant : je veux ça, peux-tu me le donner ? ou : j’ai vu ça, le vois-tu aussi, parlons-en !)

Des moments d’accordage sont possibles en côte à côte tant que Guillaume garde la maîtrise, mais si on pousse un peu trop les exigences relationnelles, il abandonne, s’éloigne. Il y a des peurs (d’un ballon de baudruche, par exemple), et dans ce cas il peut recourir au réconfort de sa maman (qui est présente lors d’une deuxième séance d’observation) avec un mot : maman ! 

 

Communication verbale 

On note plusieurs registres de voix : quand il est calme, Guillaume a une petite voix de gorge un peu étouffée, et quand il est agité, une voix forte et rauque, généralement accompagnée de mouvements corporels intenses : petits sauts et battements des bras : « radaradara… », un ton chantonnant devant un album d’images, tandis qu’il pointe et nomme les images qui retiennent son attention. Il y a de rares expressions d’émotions «  oh ! Opi ! (Tchoupi) », mais le plus souvent peu d’intonations.

Il a un lexique assez étendu, il pointe et nomme spontanément des images du vocabulaire enfantin courant, avec des mots souvent accompagnés d’un article, très compréhensibles, même s’ils sont déformés : l’écagot, ça… ça… le Opi (Tchoupi), le tato ( gâteau ), li bonbons, saire (anniversaire), l’iphant, le colile (crocodile), aouaou (chat), lapin, raf (girafe), a papa, a maman, les cisseaux, lacado (sac à dos), etc.

Il désigne et nomme les yeux, le nez, sur une marionnette.

Sa mère remarque qu’il prononce mieux les mots nouvellement acquis que les anciens (probablement parce que les anciens sont fixés et remplissent déjà leur rôle).

Il y a aussi ses mots à lui (qu’on nomme idiosyncrasies dans notre jargon) : oucouloucouli… toucoutoucoudi… dagadagadili… teketeketeke… probablement à fonction de décharge pulsionnelle et émotionnelle.

Il utilise quelques mots pour commenter des situations : et hop !, exprimer des demandes : enco !, des onomatopées : bwwww (voiture), accompagnés de plaisir.

Il y a aussi des écholalies différées en lien avec la situation du moment : par exemple la chanson du petit lézard lorsqu’il joue à faire entrer une petite voiture dans le garage, que sa maman me traduit : c’est une chanson qu’ils chantent souvent dans la voiture. Nous verrons par la suite que ce type d’associations, plutôt intéressantes au début du fait de ses capacités évocatrices d’un vécu passé, comme une ébauche de récit, prendra de l’ampleur, au risque d’être un peu envahissant, tenant autrui à distance.

Côté syntaxe, nous attendons une forme de discours de deux mots, entendus une seule fois : l’est coincé. Sa maman confirme qu’il commence à dire : l’est pas là, l’est pati, (à propos de son père.)

 

Acquisitions, centres d’intérêt 

Guillaume aime les chansons, très utilisées en famille. Il sollicite l’adulte : son ! pour inviter à chanter la chanson des poissons, il peut compléter la dernière syllabe si on laisse la phrase en suspens.

Il aime les albums pour enfants, dont il tourne les pages rapidement, main à plat, à la recherche de ses images favorites, toujours les mêmes : les bonbons, l’anniversaire…

Il joue avec des petites voitures, qu’il fait glisser le long d’une pente en les accompagnant de la main, sans les lâcher.

Il y a des actions avec les jouets : coucher un personnage dans un lit, placer un personnage sur le dos d’un animal, faire marcher un personnage sur le bord d’une plinthe ou le long du coffre à jouets, les faire grimper le long du mur, comme pour explorer les limites, les bords, ou rapprocher deux personnages identiques pied contre pied, tête contre tête ou bouche contre bouche : biiisou… comme pour en observer la symétrie. Il imite certains jeux que nous initions : ouvrir et fermer la bouche d’une marionnette, par exemple.

Il tolère mal les interdits ou frustrations (pas toucher le téléphone) et peut réagir par la colère, voire une réaction excessive qui évoque le désespoir. Mais il se laisse assez facilement détourner.

Il ne dessine pas, ne fait rien du crayon proposé.

Il se déplace beaucoup dans la pièce, saute ou marche de long en large, tourne autour de l’axe du lampadaire ou se hisse sur les bras pour regarder par la fenêtre. Il chemine dans le long couloir du CMP le plus souvent la tête renversée en arrière en regardant les lumières au plafond.

 

Nous proposerons des séances mère-enfant hebdomadaires. C’est en nous appuyant sur tout ce qui va déjà bien que nous orienterons notre travail. Notre propos est d’installer un cadre de rencontres régulier et repéré où nous rendre ensemble, sa mère et moi-même, présentes à tout ce qui est de l’ordre de la communication et du langage, de nous intéresser à ce qui intéresse Guillaume, en somme, tout en essayant de l’intéresser un peu à ce qui nous intéresse. Bref, de faire un grand pas vers lui pour l’inviter à en faire un petit vers nous.

Il ne s’agit pas de proposer un modèle, mais plutôt d’être ensemble dans une grande attention à ce qui peut favoriser les échanges avec Guillaume.

Ceci en complément du Jardin d’enfants thérapeutique auquel il participe deux fois par semaine, des consultations avec la pédopsychiatre, d’autres aides spécialisées de l’ordre du conseil, et d’une éducatrice ABA à domicile. Par la suite, il aura des séances de psychomotricité lorsqu’il quittera le groupe thérapeutique, ainsi que des séances d’orthophonie en plus, et dans une approche différente, plus éducative, en libéral.

Cela peut paraître beaucoup et suppose une grande implication de ses parents, mais nous en mesurerons les bénéfices pour Guillaume.

Par ailleurs, en tant que professionnels, il est rassurant de savoir que nous ne sommes ni tout seuls, ni tout puissants.

 

La première année, année de ses 3 ans.

Le climat des séances sera tranquille et émouvant, dans une confiance réciproque immédiate.

Sa maman est très présente à ce qui se déroule, malgré sa propre fatigue, visible et exprimée.

Au début, Guillaume ne dit ni bonjour ni au revoir, ne nous regarde pas, marche tête renversée en regardant les lumières.

Il investit les séances de manière assez ritualisée, ordonnant ses activités dans un ordre relativement prévisible :

  • Les livres qui l’attendent sur le tapis et qu’il choisit, qu’il feuillette à la recherche de ses images de prédilection dans Tchoupi, Grand Monstre Vert, etc.
  • Les chansons : L’Anniversaire, Le Petit lézard, Promenons-nous dans les bois
  • Les personnages Playmobil jumeaux qu’il retrouve et met pieds contre pieds, etc.
  • Les objets que nous faisons glisser sur le toboggan, suivis d’une chute, et que nous commentons, par exemple : « il glisse, il glisse… et… boum ! » ceci dans l’intention de lier motricité, sensation et langage, encouragées par ses regards et un mot de Guillaume : co ! (encore).
  • Des encastrements : nous demandons à Guillaume de réclamer en les nommant les pièces que nous cachons à sa vue. Il s’agit là de nommer l’objet absent tout autant que d’apprendre à différer l’attente dans un échange de regards et de mots.
  • De même, avec les cartes du loto des animaux – et nous allongeons encore l’attente en passant par sa maman : « tu veux l’ours ? Tiens, je le donne à ta maman ! Tiens, Guillaume, voilà l’ours ! merci ! etc. » patiemment.
  • Les œufs gigognes que Guillaume ouvre, disperse et referme rarement un à un (encore moins les uns dans les autres) en s’intéressant tout particulièrement à la jointure entre les deux parties.Les marionnettes : le jeu consiste à leur ouvrir et fermer la bouche, amorce de jeu de dévoration.
  • La pâte à modeler que Guillaume écrase, coupe, il s’essuie les doigts sur son ventre ou sur ses joues, dans une recherche de contact peau à peau.
  • Des jeux de coucou /caché avec une couverture.

Les câlins spontanés de Guillaume rythment la séance : câlins à Babar, câlins à sa maman.

Il y a aussi les moments de retrait, probablement lorsqu’on s’intéresse de trop près à ce qu’il fait, il tourne alors le dos ou joue seul avec la petite maison qu’il met sur ses genoux, ce que nous respectons, sa mère et moi, et saisissons pour parler entre nous.

Il y a aussi les moments d’agitation, généralement en fin de séance : allées et venues, sauts et cris, recherche du contact du métal du lampadaire avec sa bouche… Dans ces cas-là, les mots sont inopérants, sa mère l’attrape et l’installe d’office sur ses genoux, dans une proposition de contenance. Guillaume va ensuite pouvoir verbaliser son envie de quitter la pièce : on y va !

À l’arrivée des grandes vacances, les progrès sont encourageants.

Guillaume accepte plus ou moins de dire bonjour et au revoir avec ce mot : coucou ! Il dit également siteplaît et merci. Son regard est plus adressé, ainsi que certains sourires. Il accepte plus ou moins de participer au rangement. Son langage est plus abondant et articulé, avec une élocution un peu exagérée, faisant sonner les e muets : la girafeuuu, le chevaleuuu… Il constate et supporte l’absence d’un objet : l’a pas là ; nomme les similitudes : même ; réclame de faire tout seul : seul ! On note l’usage d’un tu, en place de « je » : tu cherches (il veut dire : je le cherche, comme nous le faisons de façon insistante dans le jeu du loto : attends, Guillaume, je le cherche…)

La deuxième année, année de ses 4 ans

À la rentrée, l’évaluation CEDA confirme le diagnostic, sans surprise, mais avec une certaine déception tout de même à propos du terme « typique ». (La suite montrera que l’optimisme n’était tout de même pas infondé.) Ses parents confirment leur choix de mener de front de nombreuses prises en charges, ce qui suppose un emploi du temps bien chargé et une bonne organisation familiale.

Guillaume est propre depuis l’été (3 ans et demi). Il va à l’école avec AVS, il a un doudou depuis ses 3 ans : Gromitt, avec lequel il joue : le couche, lui met sa couverture au moment de se coucher etc.

Sa mère est très partie prenante, gratifiante, ne manquant pas de signaler le plaisir que Guillaume manifeste dans toutes ses prises en charges. Elle se montre tout autant attentive à l’émergence d’un désir propre chez son fils, à l’expression de ses sentiments et émotions, qu’à des acquisitions cognitives ; elle sait remarquablement concilier sa place de mère et ses compétences de pédagogue. Elle se montre aidante et positive, respecte le rythme de Guillaume, reste active, sans être sur son dos. Les séances mère-enfant sont à la fois émouvantes simples. Lorsque c’est moi qui suis en interaction avec lui, elle sait également se reposer sur moi, se mettant spontanément en position d’observation des détails de la situation.

Nous partageons plaisir et attendrissement (par exemple lorsque Guillaume fait son premier câlin à son Playmobil de prédilection) mais bien souvent également découragement et lassitude inhérents à la répétition et à la régression, nous acceptons plus ou moins de renoncer à guetter des progrès, condition indispensable pour laisser place à d’heureuses surprises.

Guillaume retrouve ses jeux et activités préférés, les enchaîne de façon variable dans le cours de la séance. Certains jeux seront abandonnés au profit d’autres au cours de l’année, d’autres seront poursuivis et enrichis.

Alternent toujours les temps d’interaction et les temps de retrait : couché au sol ou sur le coffre à jouets, dans un contact anaclitique, ou dos tourné, coincé dans un angle de pièce.

Fatigable, Guillaume a souvent sommeil, les nuits restent un problème.

Le visage tantôt triste et lointain, tantôt souriant et en lien, regards et sourires brièvement adressés.

Très câlin avec sa maman, avec de belles surprises, comme lorsque nous saisissons cet instant où il regarde sa maman et lui dit : t’es jolie…

Lorsqu’il est content, il secoue les mains, une forme tolérable de la gestion de son excitation, tandis que les déplacements dans la pièce et les cris finissent par cesser, aidé en cela par sa maman qui intervient efficacement : « calme-toi ».

Pour se calmer seul il a recours au retrait : couché sous la table à l’abri de nos regards avec un livre qu’il « lit » par cœur, ce que sa mère commente : « un petit moment d’intimité ».

Il dit maintenant bonjour et au revoir, soutenu par sa mère, au début en écholalie :

  • – bonjour, Guillaume
  • – bonjour, Guillaume

puis en me tirant par la main et en détachant bien les syllabes : bonjour, madame P.

Il marche dans le couloir en regardant devant lui désormais, ne regarde plus les lumières.

Les départs sont faciles, il faut tout de même insister pour qu’il participe au rangement.

Il est généralement content de partir et demande parfois à sortir avant la fin : on l’y va ou : je veux faire pipi.

À chaque début de séance, il retrouve ses livres favoris : Promenons-nous dans les bois, Une Souris verte, La Grenouille à grande bouche, Bon appétit Monsieur Lapin… qu’il répète jusqu’à les connaître rapidement par cœur.

Avec les livres de chansons, la progression tout au long de l’année est manifeste :

1 – L’adulte chante, Guillaume écoute, on suspend juste avant la fin de la phrase mélodique et… il complète.

2 – Seul, il récite les paroles à toute vitesse, dans une sorte de psalmodie assez éloignée de la mélodie car il ne sait pas encore chanter.

3 – Une alternance devient possible, anticipée, Guillaume peut attendre et solliciter la place de l’autre. Par exemple en laissant l’adulte tenir le rôle du loup : il faut tout de même s’imposer un peu !…

4 – Il commence à chanter assez juste. Mais si on chante avec lui, il s’arrête, se fait auditeur : il semblerait qu’il ne puisse pas chanter en chœur, c’est ou lui ou nous, ou récepteur ou émetteur, mais pas ensemble.

5 – On annonce : « on chante ensemble ? » – Oui

Nous tentons alors la chose suivante : mettre notre voix dans la sienne, à son rythme, et pas l’inverse. Ça produit un chant étiré, très ralenti, mais c’est la condition pour que nous chantions ensemble.

6 – Nous pouvons chanter ensemble à une vitesse quasi normale.

7 – Guillaume peut chanter seul à un rythme normal et de plus en plus juste.

 

Nous pouvons noter aussi toute une progression sur l’année avec une marionnette cheval (dont la bouche s’ouvre).

1 – Au début, nous utilisons la marionnette pour aller chercher Guillaume dans un de ses moment de retrait, avec galop et bruitage du galop.

2 – Encouragées par le succès et l’intérêt de Guillaume, nous augmentons la séquence : au pas, au trot, au galop, hennissement sonore, ébrouement, et enfin ces mots : « j’ai faim ! je vais manger la main de Guillaume… » et comme Guillaume tend complaisamment la main, nous poursuivons : « hum ! c’est bon ! » Nous pouvons alors ajouter : « je vais manger le pied… l’autre pied… la tête… etc. » toutes les parties du corps y passent.

Guillaume se précipite vers sa maman pour un câlin dans un mouvement de partage que l’on peut traduire : regarde, ce qui m’est arrivé ! Peur mais même pas mal !

3 – La séquence devient rituelle : Guillaume s’installe comme spectateur actif, sur une petite chaise, et c’est maintenant lui qui commande à la marionnette la suite de ses actions, toujours dans le même ordre sans erreur, dans le plaisir d’anticiper les actions attendues.

4 – Guillaume tient la marionnette à son tour et peut plus ou moins enchaîner les séquences, surtout celle de la dévoration de sa main. Notons qu’il refuse la proposition de jouer avec la marionnette à mordre la main de l’adulte. Nous ne sommes pas encore dans cette possibilité d’alternance qui signerait une évolution dans la place reconnue à autrui.

5 – Il va pouvoir le faire, grâce à l’insistance de sa mère, une seule fois et brièvement, sur la main de sa maman.

Il poursuit ses progrès sur le plan cognitif. À 4 ans, il connaît et nomme chiffres et lettres. Il fait un puzzle de 12 pièces. Il a réussi à faire des bulles de savon, alors qu’au début il préférait nous regarder faire ou collait l’appareil contre ses lèvres.

Son langage progresse.

L’élocution est lente, peu naturelle, les syllabes bien détachées. Il y a une période de bégaiement : bouche ouverte comme s’il manquait d’air, à la recherche de la première syllabe, témoin d’une tension importante, d’un excès d’efforts, accompagnant cette explosion linguistique.

Guillaume récite des bribes de textes de mémoire, sans lien – du moins apparent – avec la situation ou – si on y prête attention – associés à une situation ou à un mot. Exemple, alors que je lui dis au revoir : Au revoir, amuse-toi bien, Mimi !  (paroles d’un dessin animé). Nous verrons que ce type de langage emprunté va prendre de l’ampleur. (Écholalies différées).

Cependant, il peut aussi parler en son nom propre, exprimer des demandes adaptées : Je veux dessiner. Donne-moi les bulles. On fait le cheval ?

Il dit je, mais c’est d’un usage un peu « appris ». Spontanément, il utilise plus volontiers le tu pour commenter ses actions, reprenant en miroir les mots qui lui sont adressés : tu effaces, prends le chiffon…

Si on le questionne (rituel de rencontre dans la salle d’attente entre la séance de groupe et la séance d’orthophonie) :

  • – Est-ce que tu as fini ton goûter ?
  • – Est-ce que tu es allé aux toilettes ?

Il ne répond pas.

Mais si on se centre sur ses intérêts du moment, un court dialogue devient possible :

  • – On fait le cheval ?
  • – Ah oui
  • – À TA maman (pour MA maman)
  • – La carte, je la donne à qui ?
  • – A la maman de…
  • – Guillaume !

 

La troisième année, année de ses 5 ans

En classe, avec 18 h d’AVS, il fait à peu près tout ce que font les enfants de sa classe. 

Après ces deux années, nous envisageons de faire évoluer le cadre des séances : le temps semble venu de recevoir Guillaume seul.  Quant à sa mère, cela lui permettrait de libérer une petite plage de temps pour elle, pendant qu’il enchaînerait groupe thérapeutique et orthophonie, ce qui n’est pas du luxe.

Nous prenons le temps de nous retrouver à la rentrée avant de passer aux séances individuelles après la Toussaint.

C’est l’occasion de partager encore quelques observations. Notamment celle-ci : Guillaume joue inlassablement à faire glisser une petite voiture sur la pente du coffre à jouets sans la lâcher. Nous tentons de l’encourager à la laisser glisser seule dans la pente, verbalement ou en lui montrant l’exemple, mais cause toujours ! Il me semble pourtant qu’il doit pouvoir franchir ce pas, alors, impatiente, je lui prends la main dans une tentative de le forcer à expérimenter le geste attendu. La leçon sera pour moi ! Guillaume réagit vivement : il secoue sa main, comme pour chasser le contact avec la mienne, émet des sons qui évoquent l’expulsion : Rrrrrrr ! se lève pour marcher de long en large. Il lui faudra un bon moment pour retrouver l’apaisement : couché sur le côté, dos tourné, il chante : ranger ses affaires… la chanson du rituel de départ du groupe. Je ne suis pas fière d’avoir déclenché cette crise et je le dis à sa mère. Celle-ci se dit néanmoins intéressée : ce genre d’attitude est encore assez fréquent chez Guillaume, d’une façon qui peut paraître immotivée à son entourage. Il est probable cependant, comme nous l’avons vu ici, qu’il y ait un micro-événement déclencheur que le rythme de la vie quotidienne ne permet pas toujours de repérer.

 

Lorsqu’il viendra seul, le changement, bien préparé, se fera aisément. Guillaume me tend la main et la garde jusqu’au bureau, confiant, ce qu’il ne faisait pas lorsque sa maman entrait avec nous.

Il se fait lire et relire La Chèvre et les biquets (est-ce par hasard qu’il y est question de l’absence et du retour de la mère ?…) Le thème de la séparation mais également celui de la peur l’intéresse et se déploie particulièrement à cette époque : peur du loup, peur des bruitages avec les jouets : l’avion, le tracteur : i fait peur, le tracteur et, par association d’idées : on fait le cheval ? (jeu de dévoration).

Le pronom personnel sujet se généralise : je veux le téléphone ! forme qui cohabite néanmoins encore avec un « tu » auto-adressé : tu vas faire pipi dans les toilettes avec maman.

Si on insiste, il s’embrouille dans les pronoms personnels :

Tu as fini, ton goûter ? me dit-il pour m’accueillir, écho différé de la question que je lui pose habituellement en venant le chercher. Et comme je rectifie, il s’efforce de corriger : Ah oui ! J’ai fini ton goûter (!) Au fil du temps, il va pouvoir trouver la bonne formulation : J’ai fini mon goûter.  

Simultanément, apparaît le dessin d’un bonhomme. Un joli bonhomme avec des cheveux en travers du front, un cornet de glace dans une main et un ballon dans l’autre, auquel il manque les jambes (à ce sujet, on peut se demander en regardant les postures qu’adopte Guillaume quelle perception il a à cette époque de ses propres jambes, qu’il semble comme ignorer ; Stéphanie, la psychomotricienne, fait la même observation et y travaille.)

Il regarde dans les yeux plus souvent, plus longuement, d’un air comme étonné, intéressé, souriant, quelque chose comme : tiens, tu es là ?

Il prend l’initiative de s’installer en face à face, soutenant tranquillement le regard.

Ses émotions sont visibles, nuancées : sourires, rires, tristesse, colère, se lisent désormais sur son visage et peuvent ainsi être nommées.

Sa voix est perchée, toujours peu naturelle, la prosodie est musicale, l’élocution un peu lente.

Il prend davantage plaisir à des changements de voix de ma part dans les récits et les jeux, en rapport avec des émotions : « Je veux des pâtes ! » (ton du caprice) ou «  je vais souffler si fort… etc. » (colère) qu’il réclame et imite avec plaisir.

 

Il est tendre et agréable, les séances sont paisibles. Il secoue les mains lorsqu’il est excité (content ou inquiet) mais il n’est plus débordé comme il a pu l’être, il n’y a plus de sauts et d’allées et venues dans la pièce. En cas d’un trop-plein d’excitation, Guillaume peut éventuellement se coucher sur le ventre avec un livre en agitant ses pieds et en disant : c’est à toi, Guillaume, ce qui signifie : laisse-moi tranquille, laisse-moi me rassembler.

Car il conserve toujours une maîtrise certaine de la relation, il tient à ses activités rituelles, prévisibles, dans un grand besoin d’immuabilité.

Il aime toujours autant livres et chansons qu’il retient par cœur à une vitesse étonnante. Ce qui est à double tranchant : cela présente l’avantage de nourrir son imaginaire et son langage, mais, en revanche, cela a l’inconvénient de mettre à distance une parole plus personnelle, plus incarnée, que nous attendons et que nous aurons le plaisir de voir émerger de plus en plus.

Guillaume annonce ce qu’il veut faire, exprime des demandes : je veux dessiner, je veux lire une histoire avec Mme P. Il sait s’opposer, dire non et d’ailleurs ne se prive pas de la possibilité nouvelle de l’exprimer verbalement : non, je ne veux pas… je veux me cacher…

De plus en plus il émet des commentaires à l’aide de phrases non plus récitées mais qu’il construit lui-même : Lalou elle mange des chocolats. Elle s’est cognée, la poule. (Une marionnette avec laquelle il joue à tester les limites de la pièce).

Pour dialoguer, il faut toujours ruser en se situant dans le champ de ses intérêts et patienter :

  • – De quelle couleur il est le U ?

Regard, réflexion, sourcils froncés, puis après un temps de latence :

  • – Ah oui… Il est jaune.

Des jeux symboliques commencent à être possibles : marionnettes, petites voitures, animaux, personnages.

Il s’intéresse à la pâte à modeler qu’il coupe, étire, arrache, émiette.

Particulièrement cette année, on sent Guillaume heureux et joyeux.

 

La quatrième année, année de ses 6 ans.

Au CMP, les séances de psychomotricité ont remplacé le groupe thérapeutique et, à l’extérieur, d’autres séances d’orthophonie se sont ajoutées, en plus du travail de l’éducatrice ABA à domicile et de celui de l’école en grande section avec 22 h d’AVS.

Pendant les vacances (nécessitant un long voyage en avion), Guillaume, nous dit sa mère, s’est mis à beaucoup dessiner. Ceci à sa façon, un peu stéréotypée, dans la répétition du même : la fusée et l’avion de Didou et la coccinelle Yoko. (En lien avec les voyages en avion, probablement.)

Guillaume est toujours content et impatient de venir à ses séances. Il accepte d’en passer par les règles sociales (bonjour, au revoir, serrer la main, etc.) même s’il préfèrerait visiblement les abréger. Souriant, gratifiant, d’humeur joyeuse et dans une grande confiance à autrui, il ne fuit pas le contact physique, il semble même le rechercher, du moins lorsque c’est lui qui en a l’initiative, lorsque nous regardons un livre côte à côte, par exemple. Il peut rester seul en salle d’attente, mais dans ce cas-là, il semble ignorer son environnement (et des manières plus conventionnelles en public), couché sur les coussins tête en bas ou suivant du doigt le rebord des murs, jusqu’à l’arrivée de sa maman. Ceci jusqu’à ce qu’il se mette à investir beaucoup le dessin, ce qui lui permettra d’adopter une attitude plus courante en salle d’attente, assis à une petite table.

D’une façon générale, il confirme et poursuit ses progrès dans le sens de davantage de souplesse, de créativité et de prise en compte des exigences et de l’existence d’autrui.

Les rituels et la maîtrise restent tout de même importants mais disons que c’est le mot « autoritaire » qui nous vient pour caractériser l’attitude de Guillaume, en place du mot « tyrannique » qu’on pourrait attribuer aux années précédentes.

La plupart des stéréotypies ont disparu. Reste les mains secouées, mais ça n’est probablement pas une stéréotypie, ce serait plutôt une gestion personnelle de son excitation, un régulateur d’émotions. Nous tentons de le traduire en mots : « tu es très content, tu es impatient… pressé… alors tu secoues tes mains… » dans l’attente que lui-même puisse un jour reprendre à son compte : « je suis très content, je suis pressé, etc. »

Cette année, sa voix s’est posée : plus grave, plus profonde, la prosodie plus naturelle, sa voix habite davantage son corps.

Changement aussi dans sa posture : plus souvent assis en face à face à la table ou par terre en tailleur (plutôt que couché sur le ventre, jambes un peu disloquées) ce qui favorise l’échange des regards.

Il sait dire non depuis longtemps mais cette année-là ce sera de plus en plus souvent oui.

La « lecture » par cœur de ses albums préférés, mémorisés de façon infaillible, est toujours très investie. Nous tentons d’y introduire de l’altérité, en proposant de façon tolérable des variations, des commentaires personnels. Lorsque Guillaume peut renoncer un moment au par cœur pour commenter les images de façon créative, c’est une grande victoire.

On peut soupçonner qu’il commence à savoir lire : il suit du doigt, par exemple : le mot en majuscules GAAAASSSSPAAAARD ! qu’il va reproduire au tableau.

Il continue à progresser dans la connaissance des lettres et des chiffres : lit tout l’alphabet, compose des syllabes, écrit quelques mots en lettres bâtons.

Avec la pâte à modeler, tandis que l’année dernière il s’intéressait à écraser, étirer, couper, il commence à modeler lui-même, mais surtout à me « passer commande » de modelages avec lesquels il va jouer : l’avion de Didou qu’il va faire voler, etc. et qu’il peut aussi détruire inopinément et… redemander !

Il dessine beaucoup, des dessins qui restent assez stéréotypés et répétitifs mais figuratifs et bien réussis.

Il maîtrise mieux son geste graphique, colorie en essayant de ne pas dépasser, ce qui n’est pas facile car il tient son crayon de façon toute personnelle : les quatre doigts posés tout d’un bloc sur le crayon, ce qui ne permet pas leur mobilité, mobilisant uniquement le poignet. Il accepte d’essayer la prise plus habituelle mais revient vite à sa prise spontanée. Je vais m’autoriser à être un peu embêtante sur la question, car il doit pouvoir expérimenter la mobilité de ses doigts pour accéder bientôt à l’écriture liée.

Du côté des émotions, il apprécie toujours que je théâtralise pleurs, colère, etc. et en redemande.

Il chante spontanément et juste, il m’attendrit lorsqu’il chante, très détendu : vois comme le monde est beau… paroles qui me semblent en harmonie avec l’ambiance de la séance à ce moment-là.

Il a accédé au jeu de « faire semblant » : nourrir les animaux de façon différentiée, une banane pour l’éléphant, du pain pour le cheval, etc. et les fait parler, en interaction avec nous : hum… c’est bon… merci, j’aime beaucoup… j’en veux encore !

Moins créatif mais probablement plus rassurant pour lui, il rejoue des scénarios de livres par cœur : Roule galette, Pierre et le Loup. À la fin de cette année, il réunit tous les accessoires nécessaires pour jouer Pierre et le Loup dans le texte intégral au mot près avec les moyens du bord ! Il se fait metteur en scène de ce petit théâtre, animant les personnages au fil du récit, ce qui témoigne d’une parfaite compréhension du sens du texte. Il faut de la patience au spectateur que je suis, car si quelque chose se met en travers, Guillaume recommence tout depuis le début !!!

Il est de ce fait difficile d’exister autrement que comme spectateur passif ou à la rigueur comme accessoiriste.

Je prends le parti d’essayer de comprendre ce qui intéresse Guillaume dans ce jeu si personnel, et surtout qui paraît si sérieux – pour ne pas dire essentiel – pour lui.

 

Lorsque sa mère demande à me rencontrer pour organiser l’année suivante, l’entrée au CP pour Guillaume, j’annonce mon départ du CMP, prévu pour la fin du premier trimestre de la rentrée prochaine.

Pour Guillaume, ça coïncide plutôt bien avec le moment de terminer ce travail.

Nous convenons de nous revoir à la rentrée, le temps nécessaire pour préparer cet arrêt, jusqu’aux vacances de Toussaint.

 

Un début de cinquième année, l’année de ses 7 ans.

Nous nous verrons encore cinq fois pour anticiper l’arrêt des séances.

Guillaume a un projet : il veut jouer l’histoire du Petit Chat perdu (Père Castor).

C’est un petit chat qui a faim ; il veut du lait et s’adresse tour à tour à chacun des animaux de la ferme qui lui proposent de façon empathique mais inadaptée leur propre nourriture. Ce qui ne fait pas du tout l’affaire du petit chat qui continue à affirmer ses propres besoins et finit par trouver la bonne réponse auprès de la fermière.

Guillaume installe les animaux jouets sur les images du livre, une sorte d’animation en 3 D tout à fait originale. Il se montre impératif avec moi, m’assignant ma place de spectatrice lorsque je me montre trop présente : va s’asseoir, Mme P. !

Ainsi se dérouleront les dernières séances qui nous restent, en compagnie des Bons Amis, de La Chèvre et des biquets, de Monsieur Lapin et de Pierre et le loup. Lorsqu’il manque des personnages, Guillaume accepte ma proposition de les lui modeler ou dessiner. Même s’il occupe la place d’un metteur en scène un peu despotique : non, pas elle ! je veux la vache qui a des cornes ! il y a des regards, des paroles, des échanges et surtout beaucoup de joie. Il peut reprendre mes mots à son compte : je suis très content, alors je secoue mes mains.

 

Il utilise la pâte à modeler de façon constructive, maintenant, et accepte d’être « dérangé » par le dialogue que j’instaure tandis qu’il modèle :

  • Lui : Je veux le crayon
  • Moi : C’est pour quoi faire, la petite boule que tu fais ?
  • – C’est pour mettre l’œil de la grenouille
  • – Et le couteau que tu prends, c’est pour quoi faire ?
  • – C’est pour faire la bouche !

Ou, tandis qu’il modèle un visage :

  • – C’est le bonhomme content… et je vais faire le bonhomme pas contente… i pleure…
  • – Tiens ? mais pourquoi il pleure ?
  • – Parce qu’il veut le téléphone.
  • – Le téléphone de qui ?
  • – De maman… un bonhomme il est en colère parce qu’il veut pas aller dans son cagibi… tata elle est pas contente.

Puis il joue à un niveau plus sensoriel à transpercer la pâte à modeler avec un crayon, à faire des empreintes, quelque chose qui évoque chutes et trous : la voiture elle roule dans le trou… Il s’agit sans doute pour lui de traduire des vécus de peur, de chute, qu’il cherche à maîtriser.

Lorsque je dis que c’est la dernière séance, il dit d’accord ! et ça semble suffire. Il est joyeux, communicatif, nous bavardons agréablement désormais :

  • – Mercredi je vais à H.
  • – Ah ! tu vas à H ? c’est chez qui ?
  • – Chez Mamie et Papillou.
  • – Avec qui ?
  • – Avec Papa et Maman et Bastien et Lise.
  • – Et tu es content ?
  • – Je suis content d’aller à H.
  • – Et qu’est-ce que tu vas faire à H. ?
  • – Je vais prendre un bain avec…

Mais il veut dessiner.

Ses dessins sont également tout à fait personnels.

Exécutés d’un trait au contour bien cerné, puis coloriés, monochromes (généralement orange… changer de feutre supposerait de lâcher, reprendre… réveillerait une angoisse de perte ?) tous les doigts allongés sur l’instrument (il refuse de faire autrement : non, je veux pas !) il occupe tout l’espace de la feuille en tournant sa feuille au fur et à mesure qu’il ajoute un dessin, puis la retourne pour dessiner au dos sans se soucier de l’orientation de l’ensemble. Il n’y a donc ni haut ni bas, ni gauche ni droite, ni devant ni derrière, dans le tableau d’ensemble, mais Guillaume dessine toujours à l’endroit par rapport à lui-même, c’est la feuille qui tourne.

Il commente :

  • – Je vais dessiner un nid…oups ! oh ! un bébé oiseau. C’est la copine de l’oiseau.
  • – Et derrière la feuille, qu’est-ce que tu vas dessiner ?
  • – Une maison
  • – C’est la maison de qui ?
  • – C’est la maison du petit bonhomme
  • – Il y ajoute un lavabo : pour se brosser les dents.
  • – C’est froid, l’eau bleue, et rouge qui est chaude.

Et, comme il n’est pas rare encore qu’il le fasse, il associe à des paroles récitées : Dring !… la cloche sonne, c’est l’heure de la cantine,  annonce la maîtresse, ça tombe bien, Lalou et Pilou ont très faim… etc. tout en poursuivant son dessin. On a l’impression que c’est comme si, alors qu’il réussit à se lancer dans ce qui s’appelle véritablement parler – c’est à dire se lancer sans savoir où vont nous mener nos paroles – il réintégrait des traces mnésiques toutes tracées, parce que c’est plus facile ou rassurant. Un peu comme lorsqu’en ski de fond, même si on veut tracer son propre chemin dans la poudreuse, s’il y a des rails profonds tracés par nos prédécesseurs, on y est ramené automatiquement.

Bien sûr, on aimerait l’arrêter, préférant une parole vivante et spontanée à une parole mécanique. Pourtant, il se peut, si on y est attentif, que ces paroles-là aient également valeur de communication. Dans l’exemple précédent, Guillaume ne me dit-il pas que Dring ! c’est l’heure de se quitter, et que ça tombe bien car il a faim – faim réelle ou faim de passer à autre chose – on peut s’autoriser à le penser ; ça présente en tout cas l’avantage de transformer ce que l’on pourrait considérer spontanément comme un problème en un gain pour la communication ; c’est en tout cas ce qui permet de supporter la chose, en comprenant et le mécanisme et l’enfant lui-même.

 

Tenter de comprendre, se proposer comme pâte à modeler – une pâte à modeler pensante, à la fois disponible et équipée de quelques bonnes convictions théoriques – ce fut notre propos avec Guillaume, avec le plaisir de le voir grandir et s’individuer toujours davantage. Pour cela, lui manifester avec frugalité notre présence afin de l’aider à émerger d’une certaine solitude : insister pour exister davantage à ses yeux et que lui-même développe sa propre personnalité, se libérant autant que possible de la tyrannie que lui fait subir ce qui trouble son développement. Condition pour que, comme le Petit Chat perdu du Père Castor, il puisse se faire comprendre, définisse et affirme sa propre quête, sa propre identité, et ce malgré les obstacles que peut rencontrer tout enfant que l’on dit « différent ».

Et pas seule, redisons-le, dans ce travail, mais en complémentarité, avec d’autres approches au propos différent. Car il serait trop dommage qu’un thérapeute se rende lui-même « autiste » dans sa pratique. 

Guillaume nous aura beaucoup appris.

Bon anniversaire, Guillaume, à la veille de ton âge de raison !

 

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