Texte – L’orthophonie chassagnienne

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Une présentation initialement adressée aux collègues du CMP-enfants où elle exerce 

L’orthophonie « chassagnienne » ? C’est quoi au juste ?

Maryse NAUROY, orthophoniste

 

Les « méthodes Chassagny »portent le nom de Claude Chassagny. C’était un pédagogue proche des conceptions de Montessori, Decroly et Freinet, que son parcours a amené ensuite à la psychanalyse. Il a créé dans les années 70/80 : la Pédagogie Relationnelle du Langage (PRL), dont je vais vous parler ici et la Technique des Associations (TA) que j’aborderai plus brièvement.

Aujourd’hui, les orthophonistes qui utilisent ces outils, sont fédérés notamment au sein d’une association « les Ateliers Claude Chassagny » qui poursuit une réflexion sur le langage et sa pathologie et propose des formations, groupes de travail, journées d’études…

Une méthode n’est jamais neutre, elle dépend toujours de positions théoriques. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’indiquer, au préalable, sur quelle conception du langage reposent les « méthodes Chassagny ». Je ne vais rien vous apprendre sur le langage, mais simplement situer un peu les fondements d’une démarche qui a comme particularité fondamentale de reconnaître la subjectivité du langage.

1) Le langage est constitutif de l’humain. Chaque être humain (qu’il parle ou non) est forcément pris dans le langage qui lui pré-existe. C’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet Ainsi donc, dans et par le langage, durant toute notre vie, nous construisons: notre identité, notre rapport aux autres, notre rapport au monde et (pour compliquer les choses) notre rapport au langage lui-même.

2) Le langage est inclus dans la fonction symbolique, c’est-à-dire cette possibilité, que nous avons de faire des liens et de créer du sens. Aborder le langage du point de vue de l’inscription dans la fonction symbolique a pour conséquence d’admettre que l’échange langagier oral ou écrit, n’est jamais une communication parfaite avec des messages univoques. Il y a toujours un écart, entre ce que l’on veut dire et ce que l’on dit, entre ce qui est dit et entendu. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on parle en ayant toujours plus ou moins l’espoir de combler cet écart, ce manque et, en même temps, c’est dans cet écart que se glisse quelque chose de la singularité de chacun ; quelque chose du sujet. C’est comme ça que le langage permet : le lapsus, la poésie, la métaphore…etc.

3) Une conséquence assez évidente, mais malheureusement trop souvent oubliée par nombre des techniques orthophoniques: c’est que le langage, ce n’est pas la langue.

En effet, le langage verbal ne peut être pensé comme la production d’énoncés. Il n’est pas que cela puisqu’ avec lui s’opère ce passage, ce nouage toujours singulier entre cette abstraction qu’est la langue (système de signes propre à une communauté) et à sa mise en œuvre, on peut dire son incarnation, par la parole qui est la parole d’un, parole ancrée dans l’ ici et maintenant.

Donc, considérer le langage, c’est considérer à la fois, l’énoncé et l’énonciation, le « dit » et le « dire ». C’est pour cela que le langage est toujours à l’articulation du corporel et du psychique, de l’individuel et du collectif. C’est pour cela aussi que le langage ne s’apprend pas. Le langage, on se l’approprie (plus ou moins bien certes) ; on l’éprouve dans une relation de sujet à sujet.

 

Le bilan de langage tel qu’il est conçu dans le courant Chassagny:

Je pars de là car c’est à ce moment que se construisent les bases d’un suivi orthophonique. Et aussi parce que le bilan, très souvent, est associé à l’idée de passation de tests.

Mais, les tests orthophoniques, ne peuvent évaluer que la compétence linguistique, c’est-à-dire, à peu près, la connaissance de la langue. En effet, la dimension de l’énonciation, dont je viens de vous parler puisqu’elle est inhérente à l’acte de prise de parole dans l’instant, ne peut pas être appréhendée par des épreuves préétablies qui appellent des réponses présupposées.

D’autre part, le langage ne peut se concevoir sans l’altérité. Le langage adressé ne peut être pris en compte indépendamment de la rencontre. C’est-à-dire la rencontre de deux subjectivités : celle du patient et celle de l’orthophoniste. Il y a donc de la subjectivité dans un bilan de langage. La prendre en compte est au fondement de la démarche clinique des « chassagniens ».

Ainsi, lorsque dans le jeu, le dessin, l’écriture… nous observons ce qu’il en est, par exemple, de la représentation de l’absence, de la séparation, du rapport à la loi, de la différence des sexes et des générations, de la polysémie, de la possibilité ou non de différer et d’anticiper, de la prise en compte de l’interlocuteur, du rapport à l’erreur…etc.; ces signes cliniques qui apparaissent, dans notre rencontre avec l’enfant, en considérant à la fois l’énoncé et l’énonciation, nous renseignent sur son appropriation du langage beaucoup plus justement que des épreuves standardisées ne permettraient de le faire.

Par exemple, je vous racontais l’autre jour William utilisant les pronoms « toi » et « moi » en miroir alors que nous dessinions ensemble au tableau. Et j’ai eu une mimique d’étonnement. Et je suppose (et ce ne peut être qu’une supposition) qu’il l’a prise en compte, qu’il s’en est servi comme point d’appui pour ensuite utiliser ces pronoms plus justement, c’est à dire dans l’altérité.

Et bien, aucun test, même le plus sophistiqué, ne peut permettre d’approcher ce qui s’est passé dans ce moment du bilan.

Autre exemple ; c’est cette petite fille qui m’explique que l’écriture cursive est mieux que l’écriture scripte car les lettres sont attachées entre elles et qu’ainsi elles ne tombent pas. Il n’y a pas de test pour recueillir cela. Et même, être embarqué dans un protocole de test conduit à ne plus laisser de place pour que de telles paroles puissent se dire.

Ainsi donc, au moment du bilan, il s’agit de s’intéresser au sujet parlant. Et il en sera de même par la suite, dans le suivi orthophonique.

C’est donc cela la Pédagogie Relationnelle du Langage : C’est essentiellement un positionnement clinique qui consiste a accorder au patient (avec ses troubles), dans un cadre thérapeutique soigneusement défini, une place de sujet parlant.

Cela suppose de :

  • Ne pas se focaliser sur le symptôme
  • Ne pas être là pour aider l’enfant à combler des lacunes,
  • Ne pas se poser comme sachant ce que l’enfant doit faire pour mieux parler, mieux lire, mieux écrire etc.
  • Mais au contraire, l’accompagner dans la voie qu’il explore (avec nous) pour sortir de ses difficultés avec le langage, la langue et la parole.

Pour illustrer :

  • – je ne commence jamais une séance en ayant prévu de faire faire ceci ou cela à l’enfant.
  • – j’essaie juste d’être à peu près disponible pour accueillir, accompagner ce qu’il amène
  • – et le contenu de la séance se co-construit.

On est tout de suite au cœur d’un travail avec la singularité du rapport au langage de chacun :

Sonia, pendant des mois, a commencé sa séance en se précipitant sur le matériel. Elle ne pouvait alors être autrement que dans une prééminence de l’agir.

Théo s’assied et attend (inhibition)

Lamine apporte ses Stroumpfs. Il écrit, depuis plusieurs séances, une histoire de Stroumpfs, mais il ne peut penser l’histoire qu’en ayant des vrais Stroumpfs sous les yeux. C’est la question de la représentation qu’il amène ainsi.

Nathan arrive parfois en annonçant d’emblée qu’il a une revanche à prendre au jeu de l’oie.

Laurine, dont vous avez entendu l’énorme colère dans tout le CMP il y a quelques jours, croyait (j’espère ne pas me tromper en utilisant l’imparfait) pouvoir imposer, sans conciliation aucune, ce que nous allions faire ensemble.

Ce qui est important alors, ce n’est pas tant ce qu’on fait, mais c’est le fait de donner du sens ensemble à ce qu’on fait. C’est à dire qu’à travers ce qui se vit, se joue, se crée dans cet espace de rencontre se construisent peu à peu : de la permanence, de la différenciation, de la mise en liens, bref de la symbolisation. En gros, la séance d’orthophonie est un atelier de mise en relation, et de mobilisation de la pensée, avec les mots.

C’est essentiellement la relation -au sens où l’orthophoniste est un partenaire langagier-qui est un support pour permettre à l’enfant de construire, tant bien que mal, une conciliation assez souple entre sa parole propre (avec ses achoppements) et l’appropriation des règles sociales, en particulier celles de la langue commune. L’objectif est qu’il ait des mots pour se dire par un maniement symbolique de la langue.

La Technique des Associations :

C’est une technique plus spécifique de travail avec le langage écrit, qui repose sur les orientations dont je viens de vous parler.

Avant de m’être formée à la Technique des associations, dans le travail que je pouvais proposer sur le langage écrit je ressentais l’écueil d’un quasi-clivage :

– soit l’objectif était de permettre à l’enfant de s’exprimer par l’écrit (textes libre, inducteurs …). La question du code (l’orthographe en particulier) se trouvait momentanément laissée en suspens.

– soit au contraire, il s’agissait de se préoccuper d’une meilleure maîtrise du code. Le langage écrit se trouvait alors abordé comme objet d’étude et non comme moyen d’échange.

Je sentais bien alors qu’une question fondamentale restait dans l’ombre : celle de l’articulation entre ces deux options. Or justement, si pour certains enfants, c’est presque une évidence, pour d’autres, ceux que les orthophonistes reçoivent, c’est cela qui est problématique : accepter les contraintes du code écrit pour gagner en liberté.

Ce que vise cette technique, c’est justement d’accompagner la construction de cette conciliation, cet équilibre à trouver entre une parole écrite singulière et l’intégration des règles communes. A ce sujet, remarquons bien que l’inscription dans le symbolique est autrement questionnée, révélée, lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. (absence, permanence de la trace, place à occuper, adresse …)

Concrètement, face à une feuille blanche ou au tableau, nous cherchons un mot pour débuter puis se déroulent, s’écrivent, au rythme des associations d’idées, les mots de l’enfant, les mots de l’orthophoniste… C’est une écriture dans un style pré-discursif (pas des listes de mots, pas des phrases rédigées) à mi chemin entre oral et écrit. L’enfant écrit, l’orthophoniste soutient l’écriture.

Cette manière d’écrire a un effet de miroir grossissant:

  • – du pouvoir évocateur des mots
  • – de l’implicite
  • – de la polysémie.

Je vais vous donner un exemple, celui de cet enfant qui s’exclame : « ha ! oui ! Y’a trois trucs ! » lorsqu’il réalise, que le mot « terre » désigne la planète, désigne aussi le sol du jardin et se retrouve même dans « pomme de terre ».

Autre exemple, c’est cet enfant qui propose le mot « tombe ». Je pense à « il tombe », lui pense à « la tombe ». On est bien dans cet écart, dont je vous parlais tout à l’heure, dans ce qui achoppe toujours plus ou moins dans l’échange langagier. Et la difficulté d’orthographe, justement, est resituée là, dans cet écart.

Dans ce travail, l’erreur d’orthographe n’est pas une faute mais elle est une invention qui a de l’intérêt ; elle devient terrain de rencontre. L’orthophoniste est référée au code écrit et n’ignore pas que le mot est inexact. Elle propose de passer par des associations de forme ou/et de sens qui, quand ça marche, permettent de restaurer le mot dans et par ses liens à d’autre mots. C’est une toute autre démarche que de ré expliquer les règles d’orthographe et de conjugaison.

Finalement, avec la technique des associations, j’ai souvent l’impression de travailler le langage écrit avec les enfants un peu comme on fait de la pâte à modeler. Le dit et l’écrit, dans le dialogue et dans l’instant permettent à l’enfant de pétrir la langue, les mots et de se découvrir sujet de son discours.

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