Texte – Le premier pas

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LE PREMIER PAS

Catherine Le Mercier, orthophoniste PRL/TA

 

Le récit qui va suivre est celui d’une année de travail avec Stéphane. Au moment de notre rencontre, Stéphane est un jeune adulte de 17 ans.

Cette rencontre a lieu au sein d’un service de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, accueillant des jeunes de 16 à 21 ans, la plupart en rupture scolaire. Ils arrivent dans le service de trois manières:

  • Ordonnance de 45: jeune délinquant
  • Article 370: jeune en danger
  • Mission locale: dispositif d’accès à l’insertion C’est souvent leur dernière«chance» d’accéder à une formation qualifiante.

A partir du CP, Stéphane a été suivi en orthophonie et psychothérapie pour des difficultés de langage oral et d’apprentissage de la lecture. Lorsqu’il a 9 ans et qu’il redouble son CE2, son instituteur oriente la famille vers une école spécialisée pour dyslexiques. Stéphane y passe 2 ans, accède semble-t-il à la lecture mais une transgression de la loi l’amène devant le juge des enfants. Aucune sanction pénale ne sera prononcée mais Stéphane devra écrire une lettre à la victime et aura une AEMO (Assistance Educative En Milieu Ouvert). A la suite de cet évènement, la lecture se serait de nouveau dégradée…

Lorsque je reçois Stéphane, le bilan révèle des difficultés importantes pour lire et écrire. Stéphane parle de son désarroi lorsqu’il doit lire des panneaux (ex: à la gare), lorsqu’il va au restaurant où il commande toujours le même plat et finit par dire : «lire c’est pouvoir choisir». Les fonctions sociales de l’écriture et de la lecture me sont apparues là dans toute leur dimension. Stéphane accepte un travail après avoir pris connaissance de la Série associative mais doute beaucoup…

La Série a été le fil conducteur de nos séances. Elle a permis de mettre un cadre à notre travail, élément important chez ces jeunes en quête de sécurité, de références dont ils ont manqué depuis leur plus jeune âge.

A travers la Série, Stéphane réalise que le langage écrit peut être autre chose qu’un objet d’étude car le langage pré-discursif lui permet d’échanger par l’intermédiaire de l’écrit: ses mots quelqu’ ils soient sont reçus et écrits mais la Série lui permet aussi d’être nourri (de mots).

Par ailleurs, la Série est souvent émaillée de réflexions voire de discussions grâce au discours parallèle. Voici une des premières séries de Stéphane, que je désignerai par S. Je serai désignée par O. Dans la Technique des Associations, les mots dont la forme est inexacte sont barrés puis réécrits avec l’aide du rééducateur qui utilise soit l’autocorrection, soit soutient la réécriture par des informations orales.

Pour la première fois, Stéphane entrevoit l’écrit comme un moyen de communication et en vient à me demander de l’aider à écrire son courrier amoureux et à lire des lettres qu’il reçoit. Cet accompagnement dans un domaine si intime m’a un peu déroutée, j’ai hésité à m’y engager mais j’ai ainsi découvert un Stéphane sensible au style, au choix des mots et désirant écrire des poèmes. C’est au cours de ces séances qu’il évoque son impossibilité à parler de ses difficultés de lecture et d’écriture à ceux qu’il aime ou qui l’aiment…

Après environ 4 mois de travail, à raison de deux séances par semaine, Stéphane exprimera ses difficultés pour noter les numéros de téléphone, trouver un bus si on lui indique « trois cent quatre vingt onze » et non pas « trois neuf un ». Je lui propose d’aborder l’organisation de la numération en me référant à la formation Stella Baruk. Quelque temps après, Stéphane apporte un chèque pour apprendre à le remplir. Stéphane est assez rapidement en situation de réussite et va commencer à croire en ses possibilités.

C’est alors qu’il demande à écrire les pas de la série sans les dire au préalable pour vérifier si je comprends ce qu’il écrit. Cela s’avère difficile dès le troisième pas mais Stéphane n’en est pas blessé et reconnaît qu’il a encore besoin de mon soutien.

Voici cette série où j’utilise peu ou pas l’autocorrection afin de privilégier l’échange.

L’évolution qui s’est opérée au cours des mois ne porte pas tant sur la maîtrise du langage écrit, que sur l’attitude de Stéphane face à sa difficulté qu’il ne considérait plus comme une fatalité ni comme un secret honteux.
Au cours de nos conversations, il arrivait à Stéphane de dire « quand je saurai lire ». Il semblait même trouver un certain plaisir à écrire et me disait qu’il avait envie de lire des affiches. Ses éducateurs remarquaient également une meilleure expression orale.
Lors de notre dernière séance, Stéphane a écrit en silence et m’a demandé de lire ses pas.
Avant de partir, il a noté certains pas en disant : « ça peut servir ».

Stéphane a obtenu son permis cariste (conducteur de chariot élévateur). Il a fait preuve à l’examen d’une grande concentration et de résultats satisfaisants aux épreuves théoriques (QCM).

Lorsqu’il a quitté le service, son diplôme en poche, j’avais l’impression d’un travail inachevé. Mais lui était fier, avait pris de l’assurance et croyait en un possible avenir… J’ai alors pensé qu’avec cette population en grande difficulté, faire émerger un désir face à l’écrit était le premier pas.

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