Texte – Comment les mots viennent aux enfants ?

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Communication à la Maison Bleue de Chabeuil (26) A l’attention des parents et personnels soignants de l’équipe.
Le style oral de l’intervention a été volontairement conservé.

 

Comment les mots viennent aux enfants

 Isabelle Canil, orthophoniste

 

C’est un très beau titre qu’ont trouvé les gens de la maison Bleue.
Deux choses me sont venues spontanément à l’esprit quand Brigitte Brunel m’a demandé de parler de ça.

Ce sont deux histoires, l’une un peu marrante et l’autre un peu moins, deux histoires dont je vais me servir pour introduire ce qui me tient à cœur de développer : Je commence par la moins drôle : c’est l’histoire d’un roi Frédéric II, (XIII ème siècle) qui avait l’obsession de se demander quelle était la langue originelle. Il pensait qu’il devait bien exister une langue, la langue naturelle… il avait ainsi le fantasme qu’il devait exister une langue première.

Alors il a eu l’idée de prendre des enfants bébés, de les faire élever comme il faut, c’est à dire qu’ils ne devaient manquer de rien, qu’ils devaient avoir tous les soins nécessaires, mais les personnes qui s’en occupaient avaient l’interdiction de leur parler. Les soins vitaux du corps devaient donc se faire dans une grande neutralité. Comme ça, se disait Frédéric II, on verrait bien quelle langue ces enfants se mettraient à parler quand ils seraient en âge de le faire. (Il pensait que ce serait le grec ou le latin).

Frédéric II en a été pour ses frais et les malheureux enfants aussi, parce que bien sûr, ils sont tous morts. (Ce qui fait un peu froid dans le dos, n’est-ce pas ?) (On ne sait pas si cette histoire est vraie, mais on sait que Frédéric II était plutôt un esprit éclairé qui voulait faire avancer la science et les connaissances. Par exemple, il avait édicté une loi pour rendre possible la dissection des cadavres, pour faire avancer la médecine. Ce que l’église s’est empressée d’interdire à sa mort.)

L’autre histoire plus marrante, se passe dans une famille très comme il faut, un peu aristocratique même, où il y a un jeune homme qui a maintenant 20 ans ou 25 ans, – on va l’appeler Charles Edouard -, qui n’a jamais parlé. Et ma foi tout le monde a fini par l’accepter.
Et voici qu’un jour, à table, toute la famille est réunie, et ce jeune homme soudain dit : » Passez-moi le sel je vous prie. » Et toute la tablée n’en revient pas ! « Mais comment ? mais quoi ? tu sais parler ? mais alors tout ce temps ? toute ta vie ? pourquoi n’as-tu jamais parlé ? » Et Charles Edouard répond : « C’est que jusqu’à présent, le service était parfait. »

Je vais reprendre ces deux histoires et m’en servir pour montrer plutôt « ce qui n’est pas à faire » ou ce qui est « à ne pas faire » quand on veut faciliter l’appropriation du langage à un enfant. Ni Frédéric II, ni la famille de Charles Edouard, ne s’y sont bien pris, à mon avis… Je vais les reprendre pour essayer de dégager ce qui me parait capital à saisir pour comprendre un peu ce qui se passe pour un enfant qui a comme boulot de s’emparer du langage. Je ne dis pas apprendre à parler, mais plutôt s’emparer du langage.

Apprendre signifierait qu’il y a un apprentissage plus ou moins bon, avec une progression, qui serait dispensé par des parents qui du coup seraient des pédagogues. Cela signifierait aussi qu’il y a une sorte de « mode d’emploi ». Or le langage est pris dans la vie, et dans le rapport à autrui, et le mode d’emploi de la vie, et du rapport à autrui, n’est pas fourni. Chaque être humain s’y confronte et a à s’en débrouiller comme il peut.

Pourquoi j’aime bien le mot s’emparer du langage ? Tout le monde s’empare du langage, mais avec plus ou moins de facilité. Parce que le langage est là partout autour de l’enfant, et même bien avant qu’il soit né. On lui parle, (sauf Frédéric II), et même avant qu’il soit né, on parle de lui. On l’écoute bouger dans le ventre, on dit qu’il a l’air bien calme ou bien intrépide, on se dit qu’il sera beau comme un dieu, dodu comme son grand-père, gentil comme son oncle, ou insupportable comme sa belle-sœur… On espère qu’il sera musicien, ou ingénieur, qu’il fasse du foot ou on dit juste, « il fera ce qu’il voudra, l’essentiel c’est qu’il soit heureux… » On en parle. Et lui, il est parlé. On se l’imagine comme ci comme ça…

Et puis très important, dès qu’il va arriver, on va lui donner un prénom et un nom. On va aller l’inscrire à l’état civil. Il va être reconnu.

C’est-à-dire que d’un côté il va avoir une existence bien concrète, dans une maison, avec un berceau pour lui, et avec quelques adultes autour de lui qui sont en général une mère et un père.

Mais en plus de cette existence bien réelle, bien concrète, qui fait qu’il va falloir s’occuper de le nourrir, se réveiller la nuit, donner le bain, le soigner, le consoler, le gronder etc… Il va aussi avoir une existence qu’on appelle « symbolique ».

Donner un nom, qui va être inscrit ailleurs que chez nous, à l’état civil de la mairie, c’est une des façons qu’on a de le faire rentrer dans la communauté humaine, dans la société humaine. (Ce n’est pas la seule ! Parler de lui et lui parler comptent aussi !). Et cette société humaine est réglée par le langage. L’existence symbolique, c’est celle qui a trait à quelque chose que vous ne pouvez pas matérialiser, parce qu’elle n’existe que dans et par le langage, par les idées. (Même s’il y a de fait, des actes concrets qui en découlent, par exemple, il y a des actes que les humains accomplissent au nom de cet ordre symbolique auquel ils tiennent : ainsi, pour fêter un anniversaire, il y a une réunion de famille ou d’amis, il y a un gâteau, des bougies… C’est concret. )

Mais l’évènement qu’on fête, c’est nous qui avons décidé d’en faire un évènement. C’est nous qui avons décidé de donner de l’importance à ce fait de prendre une année de plus. C’est un évènement symbolique, c’est-à-dire que les humains l’ont décidé et établi : Donner et inscrire quelque part un nom, c’est un acte symbolique. C’est du langage, et du langage écrit, parce que la loi dit que chaque personne qui naît doit avoir une existence sur le papier.

Les lois, les interdits, c’est du langage. Et si cela compte, c’est parce que nous, humains, en avons décidé ainsi. Et c’est même cela qui règle notre vie et qui l’ordonne.

Et là, il ne s’agit plus seulement ce qui se passe dans votre maison. Ça vous dépasse. Ce n’est plus vous qui êtes le maître à bord. Vous pouvez vous-même décider de donner la tétée au bébé à telle heure plutôt qu’à telle autre, lui donner le sein ou le biberon, l’habiller en bleu marine ou en rose. Mais il y a des choses que vous ne pouvez pas vous-même régler, parce que vous n’êtes pas le seul maître à bord, et parce que vous-même, vous êtes déjà soumis à ces lois, en tant qu’être humain intégré à cette société humaine. Vous aussi vous avez une existence symbolique, qui vous dépasse, qui est au-dessus de vous, la preuve, c’est que vous existez dans un registre d’état civil. Et quand vous mourrez, il y aura aussi vos noms, dates de naissance et de mort, cette trace essentielle de vous, de votre vie sur terre, qui va rester et qui pourra faire mémoire pour ceux qui restent. (Je suis désolée de vous dire des choses un peu tristes !)

Les animaux n’ont pas entre eux, ni pour eux cette existence symbolique. Les animaux ont une vie naturelle, avec leurs lois qui ne sont pas comme les nôtres définies par le langage, mais définies par leurs instincts, ou par ce qui est inscrit dans leurs gènes. Les animaux savent d’emblée ce qui est bon pour eux. Ils savent trouver la nourriture qui leur va, ils se reproduisent et assurent la survie de leur espèce et puis voilà. Ils n’ont pas leur vie organisée, ordonnée, et réglée par le langage. Et quand ils meurent, et bien ils meurent ! Les autres n’organisent pas quelque chose pour eux, pour qu’ils continuent d’exister dans leur mémoire. Ils n’ont pas décidé de fêter leurs anniversaires.

Si les bébés de Frédéric II sont tous morts, c’est sans doute parce qu’on on leur a refusé cette place symbolique d’êtres humains, et qu’on a décidé pour eux quelque chose qui est tout à fait « inhumain », au sens de hors humanité, (pas inhumain au sens cruel, Frédéric II ne voulait pas être cruel, même s’il l’a été de fait) « inhumain » au sens de hors symbolique.

On a voulu en faire de parfaits objets de soins, parfaitement traités, mais on a bravé la loi humaine en leur refusant cette place de personne que tout bébé devrait avoir. C’est un objet de soins, un bébé c’est sûr, mais ce n’est pas que ça ! C’est un bébé dont on n’a pas arrêté de parler comme d’une vraie personne. On l’a inscrit dans un futur, on a rêvé de ceci et de cela pour lui…. C’est très différent de ce que font les animaux, qui ne parlent pas leurs petits. Et c’est très différent de ce qu’a voulu faire Frédéric II, en en faisant juste des objets d’étude, pour satisfaire sa curiosité scientifique. Le langage fait partie de cette histoire-là. Quand on rêve de ce que fera son bébé quand il sera grand, on le fait entrer dans le langage, on crée (sans s’en rendre compte) des conditions, « plutôt favorables », pour que l’enfant à son tour s’empare du langage quand ce sera le moment pour lui.

Comment ça se passe, avec des parents qui ne sont pas des animaux ? Globalement, ça se passe comme ça :

Au début, la maman, ou la personne qui s’en occupe, s’ajuste le mieux possible aux besoins de son bébé. Petit à petit elle apprend à reconnaître pourquoi il pleure. Il a mal quelque part, ou bien il a faim, ou bien il a trop chaud, ou bien il est fatigué et il est trop énervé et n’arrive pas à s’endormir, ou il faut le changer.

Et elle, elle parle, elle met les mots qu’elle pense être ceux que l’enfant dirait s’il savait parler. Et au début ce sont des mots qui sont très proches de choses du corps et des besoins primaires (manger, faim, changer, bobo) des sensations du corps. Et puis petit à petit, la mère se précipite un peu moins pour nourrir le bébé, elle sait qu’il peut attendre un petit peu, elle essaie d’introduire un rythme dans les heures des tétées qui s’apparente au rythme social de sa culture, de sa vie à elle et de sa famille au quotidien, et le bébé peut se laisser distraire par autre chose. On peut lui montrer un petit jouet qui fait du bruit… On peut le laisser pleurer aussi sans que ce soit bien grave. Les choses vont se diversifier, parce qu’elles ne vont plus être uniquement centrées sur le corps et les besoins du corps. Le monde du bébé va s’élargir, ce n’est plus juste son corps et l’adulte qui s’en occupait, mais c’est aussi autour et les autres, c’est une immense découverte qui n’en finit pas, le monde autour….

En même temps que le monde va s’élargir et se diversifier, en même temps que se fait cette diversification, se fait aussi une réponse moins réponse. C’est à dire que le bébé peut très bien pleurer parce qu’il a faim, et sa mère va lui dire « attends un peu s’il te plait c’est pas l’heure », ou elle va lui donner un bout de papier pour qu’il joue avec en le chiffonnant, et elle va continuer ce qu’elle était en train de faire. Elle va introduire comme un peu de frustration. Juste ce qu’il faut. Ce n’est plus comme au début où à peine il avait faim qu’il avait déjà le biberon dans la bouche. Elle introduit un peu de frustration. Pas pour le plaisir de lui faire vivre une frustration, (ce qui serait sadique, et les mères ne sont pas sadiques avec leur enfant en général) mais pour laisser un peu de place à autre chose.

Et ça c’est très important, et c’est le sens de ma deuxième histoire : Charles Edouard qui se met à parler et qui n’a jamais parlé avant parce que le service était parfait. Le service de la mère va être moins parfait et c’est ce qui est capital. Il va être moins parfait, c’est-à-dire moins immédiat. La réponse de la maman (donner un biberon par exemple) va être un peu différée dans le temps. On parle très souvent de « séparation ». Ça se fait là aussi la séparation. Quand la maman tarde un peu à satisfaire son bébé. C’est une séparation qui vous sépare de cet état physiologique d’espèce de plénitude… Mais elle va donner autre chose : elle lui parle, elle l’amuse… C’est comme si elle donnait une autre nourriture que celle du corps. Et le bébé va aimer ça. Il va s’y faire, s’y habituer, ça va rentrer dans sa vie, et il va vouloir que ça revienne. Il va avoir le désir de le revivre encore. Et ainsi il ne va plus seulement avoir des besoins du corps, mais des désirs d’autre chose que les besoins du corps.

Dans ce petit espace de frustration que va lui faire vivre la mère, il va y avoir la place pour autre chose qu’elle va elle-même introduire et qui va devenir très important, et sans doute très agréable aussi ! Cet espace-là est essentiel.
Pour un jour se mettre à bien parler, il faut avoir du désir. Ce qui est différent du besoin. Le désir ça vient en plus, gratuit… Et tant qu’on ne s’occupe que du besoin, et qu’il est assouvi presque automatiquement, il n’y a que le plaisir du corps et de ses besoins physiologiques.

Pour parler, il faut manquer de quelque chose. Pas pour le seul but de manquer, mais pour avoir la possibilité de mettre autre chose à la place de ce qui est manquant. J’insiste parce que le mot de manque, et le mot de séparation, ne sont pas à comprendre comme quelque chose de très dur, de négatif. Ça n’a rien avoir avec la séparation d’un divorce par exemple, qui va toujours être plus ou moins douloureuse. La séparation dont je parle, qui doit advenir, initiée par la mère, n’est pas absolue. Elle est relative, pourrait-on dire. Ce n’est pas une séparation où on ne veut plus se voir du tout. C’est juste une séparation où il faut qu’on commence à se dire qu’on ne peut plus fonctionner que tous les deux, et qu’il faut qu’il y ait autre chose entre nous. Elle peut être douloureuse c’est vrai. Il y a des femmes qui ont beaucoup de mal avec cette séparation d’elle et leurs enfants. Et elle ne se fait pas en une fois, ni une fois pour toute. De plus, elle est souvent réactivée dans les parcours de vie, à différentes périodes… Cet espace-là, où quelque chose va manquer un petit peu, où la mère va permettre que quelque chose de nouveau s’introduise, je veux le défendre.

Pour avoir le goût des mots, il faut pouvoir quitter un peu le goût du lait, et de tout ce qui était des plaisirs immédiats du corps, pour pouvoir connaître autre chose. Et c’est comme ça qu’on va vers le symbolique, c’est-à-dire le langage.

Les mots représentent des choses, mais ne sont pas les choses en vrai. Les choses ne sont pas forcément là. Vous voyez comme la place du manque est capitale. Les mots viennent à la place de tout ce qu’on veut. Pour dire ne serait-ce que « maman », il faut que maman ait été un peu manquante des fois. Si le moindre mouvement de la part du bébé fait surgir une mère qui va le nourrir, le bercer… il n’y a plus besoin de dire ce mot de « maman ». Le bébé le dit quand il a expérimenté que parfois, elle n’était pas là, et que du même coup, il a pu se rendre compte qu’elle avait une existence en dehors de lui. Vous voyez ce que recouvre le mot « la séparation » … Si elle était toujours là à combler tout, il pourrait continuer longtemps à croire qu’elle est comme une partie de lui. Comme un même corps elle et lui. (On entend quelquefois des mamans qui s’expriment ainsi à propos de leur enfant : lui et moi c’est pareil. Je ressens/sais tout ce qu’il ressent).

Alors qu’il a aussi à apprendre que non, et qu’elle est un être séparé de lui. Ce qui est très important avec les tout petits, ce sont les jeux de coucou/caché. Ils expérimentent là, des choses sur la présence/absence. Même quand on ne se voit pas, on existe. Ils construisent là leur continuum d’existence. Et alors ce mot de « maman » par exemple, va revêtir plusieurs fonctions et avantages. Ce mot peut la faire venir premièrement. (Mais pas toujours) Et deuxièmement, il peut aussi compenser le fait qu’elle ne soit pas là. Parce que le bébé, rien qu’avec le mot, peut se la représenter dans sa tête.

Elle n’est pas là, mais bientôt il y aura sa voix, son odeur, son contact, tout ce qui fait « maman ». Et le petit peut dire « maman » et évoquer pour lui tout ce que ces syllabes de « maman » recouvrent. Et ma foi, ça le fait patienter de dire le mot avant d’avoir sa mère pour de vrai. Pareil pour tous les mots : un mot n’est pas la chose en vrai. Un mot est un représentant de chose. Je peux parler de poire en l’absence d’une vraie poire. Nous savons parler, parce qu’un jour nous avons eu envie de faire autre chose que d’être comblé physiquement avec de la nourriture, des contacts peau à peau etc… C’est parce qu’on a eu envie d’autre chose, parce qu’un jour ça n’a plus été suffisant, que l’envie des mots est venue elle aussi. Mais parce qu’on nous a introduit à cet autre chose, on nous l’a fait vivre, découvrir, et dans de bonnes conditions.

Je crois que c’est la grande idée qu’il faut avoir en tête à propos du langage. C’est que pour parler, il faut que l’enfant fasse l’expérience du manque, d’une certaine forme supportable du manque qui se fait avec une certaine forme de séparation.

Si l’enfant est toujours complètement comblé, il ne peut pas avoir un désir d’autre chose. Le désir de parler vient d’un désir d’autre chose. Si le bébé reste uniquement un objet de soins et que du point de vue du soin, son corps est comblé, il est toujours en position d’être un objet, il ne peut pas devenir un sujet, c’est-à-dire avoir des envies propres.

Un corps ne suffit pas pour faire une personne. Pour parler, il faut du désir, et pour pouvoir désirer, il faut manquer. Le service ne doit pas être trop parfait, ne doit pas tout combler, parce que sinon, comme rien ne manque, il n’y aura jamais d’espace pour autre chose, on n’a plus rien à désirer. Et on reste dans la position de l’animal repu, tous ses besoins satisfaits, et dont le seul but est de pourvoir à ses besoins. (je vous caricature un peu là…) On peut peut-être l’appeler « espace » au lieu de l’appeler « manque ». L’animal ne cherchera jamais à s’élever, à apprendre des choses, à se cultiver. Tout ce qui ne lui est pas nécessaire biologiquement, il s’en fiche. Ce n’est même pas qu’il s’en fiche, mais c’est que ça n’existe pas pour lui.

Si on veut faire un être humain, si on veut le faire entrer dans la communauté humaine, il faut que l’enfant puisse un jour aspirer à des choses comme patiner, observer les fourmis, lire, écrire, compter, faire de la musique, collectionner les timbres, devenir champion de boxe, devenir coiffeur, ou dentiste… tout ça c’est ce qui fait la culture, et c’est comme une extension du langage.

Je peux vous donner un exemple d’une petite fille que j’ai reçue à mon cabinet, et qui parlait très très mal à plus de 3 ans. Ça arrive, mais le plus compliqué n’était pas le fait qu’elle parlait très mal, mais le fait qu’elle avait beaucoup de mal à accepter une séparation physique avec sa mère. Sa maman est restée pendant longtemps avec nous dans le bureau et nous faisions les séances à trois. Et quand j’ai pensé qu’on pouvait peut-être maintenant faire des séances sans la maman, la petite fille au bout d’un moment se mettait à pleurer, et à vouloir « faire caca ». Je pense qu’elle montrait là, que tout ce qu’on pouvait lui raconter, elle s’en moquait. Elle, ce qu’elle voulait, c’est continuer cette relation très étroite avec sa mère, où sa mère s’occupait d’elle, de son corps. Le caca faisait partie de sa vie avec sa maman. Cet « autre chose » que je pouvais lui apporter, ou que je pouvais introduire, elle me signifiait qu’elle n’en voulait pas, et elle ramenait tout au corps, ce qui était à la fois l’essentiel et le suffisant pour elle.

Il faudrait là que je vous dise quelques mots sur la mère. Elle parle à son enfant. Et c’est vrai que pour parler il faut être deux. Mais non, ce n’est pas très vrai : Pour parler il faut être trois. Si on n’est que deux, la mère et l’enfant, il y a risque que cet espace de manque dont je vous parlais, où va se loger toute la dimension du symbolique ne soit pas suffisamment opérant. Il faut un troisième, ailleurs. On appelle ça souvent un tiers. Attention ! ça ne veut pas dire que les mamans qui élèvent seules un enfant vont tout rater, pas du tout ! Elles peuvent l’élever seule comme on dit (elles peuvent être séparée du père de l’enfant, ou le père peut être mort…) et ça peut très bien fonctionner quand même. Ce troisième, ça peut être n’importe qui ! (Un curé, une grand-mère…) Ca peut même être autre chose qu’une personne : ça peut être un métier auquel la mère tient vraiment.

Le tout, c’est que la mère elle-même ne soit pas comblée par son enfant, et qu’elle ait envie d’autre chose. Elle ne doit pas combler son enfant, et elle-même ne doit pas être comblée par lui. Il ne doit pas être TOUT pour elle. Il faut que pour l’élever et le faire grandir, elle ne s’en remette pas qu’à elle seule. Il faut que ses rapports avec lui soient ordonnés aussi par un point extérieur à eux deux, mère/enfant. Souvent dans nos modèles familiaux occidentaux, c’est le père qui tient cette place. Mais pas toujours. Quelquefois il n’y en a pas de père. Et quelquefois il y a des pères qui sont bien là, mais qui ont du mal à occuper leur fonction, leur place de père, ce tiers. Cette place de tiers, si vous voulez, elle est un peu garante de l’espace nécessaire symbolique. Celui qui nous éloigne des animaux, là où peut venir croître … tout ce qu’on peut imaginer… des jeux, du langage, de la culture… Quand je dis culture, je ne veux pas dire forcément des choses intellectuelles, mais des choses qui nous font humains. La fête, le foot, la cuisine, la danse, la mode, la lecture…

Je veux rajouter quelques mots parce que je ne sais pas si je vous ai bien fait sentir quelque chose. Oui, l’enfant doit manquer, pour pouvoir avoir la place de mettre des mots. Mais ça ne veut surtout pas dire qu’il faut être vache avec lui, ne jamais répondre à ce qu’il réclame etc… Au contraire. Le manque prendra valeur de « bon manque », si et seulement si, dans sa toute première enfance, le bébé a reçu tout ce qu’il fallait avec une adaptation presque parfaite de ses besoins de la part de sa mère ou ses parents (ou la personne qui fait fonction de mère.) Il faut absolument qu’il y ait eu ce continuum de soins très adaptés au début, pour que justement le manque soit perçu comme un manque espace où on pourra mettre autre chose, et qui pourra générer du désir. Sinon, ce n’est pas du bon manque capable de générer du symbolique, mais plutôt des carences ou de la détresse ou de l’abandon… Or, si on veut que l’enfant s’empare le mieux possible du langage, il faut que ce soit une petite personne qui ne vive pas dans la détresse, ou l’abandon.

Avec ce système de la mère qui petit à petit va s’autoriser à ne pas toujours être parfaite, toujours là pour lui, l’enfant petit à petit se construit une sorte de permanence de cette maman. Mais parce qu’il est assuré qu’elle va revenir. Cette assurance est capitale. C’est sur ce sentiment de sécurité, que l’enfant peut supporter le manque. C’est pour cela que je disais que pour que le manque soit un bon manque positif, il faut d’abord que l’enfant ait connu une parfaite sécurité et une adaptation et une présence très adaptées. Et de la même façon que, même s’il est chez sa nounou, il va pouvoir avoir sa mère dans un coin de sa tête, parce que même absente physiquement, il va être assuré qu’elle existe et qu’elle va réapparaître, de la même façon les mots vont pouvoir remplacer les choses, qui ainsi auront une existence par le langage. On peut parler de poire, en l’absence de poire, même si on n’en voit pas. Parler, c’est très souvent parler en l’absence de. C’est la forme aboutie du langage.

Les premiers mots –je vais vous en parler– n’ont pas encore cette forme aboutie. Mais c’est c’est déjà ça qui est à l’œuvre et qui se construit. Au début ce qui n’est pas visible ni présent n’a pas d’existence pour le bébé. C’est quelque chose qui va se construire peu à peu. Les choses, les personnes peuvent exister même quand elles ne sont pas là.

Je vous ai donné des principes importants, qui essaient d’expliciter ce qui doit présider à l’appropriation du langage chez tout être humain, mais il n’en reste pas moins que ce sont des choses générales… Et qu’un enfant est toujours unique. Et la famille qu’il constitue avec ses père et mère, elle aussi est unique. Donc aucun exposé, aucun livre sur comment parle un enfant, rien ne remplacera jamais, l’écoute singulière que pourrait faire par exemple une orthophoniste ou un psychologue ou un psychanalyste… Parce que nous orthophonistes, quand on reçoit un enfant et ses parents pour un problème de langage, ce n’est pas tout ce que je vous ai raconté là qu’on leur dit ! On ne les bassine pas avec tout ça ! On leur demande à eux, de dire ce qui d’après eux ne va pas. Comment ça se présente, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que ça leur fait ? On essaie de voir quel est l’ « angle », qui semble clocher, quelle place occupent tous les intervenants les uns par rapport aux autres. Les questions des parents ne sont jamais formulées de la même façon. Et la formulation a son importance. Ce n’est pas la même chose une maman qui dit : “Il parle mal, il n’y a que moi qui le comprends, ça n’est plus possible ! “ Ou une maman qui dit : “il parle mal, il n’y a que moi qui le comprends, mais qu’est-ce qu’il est mignon, et puis il est encore si petit ”. Est-ce que c’est un problème de distance, de séparation, un problème de dépression ? Chaque histoire est à écouter et on laisse les grandes lignes au placard….

Je vous ai explicité ces deux grandes questions fondamentales qui pourraient avoir comme titre ce monde symbolique qui nous entoure, et la nécessité du manque, ou de la distance ou de la séparation. Parce que je pense que c’est trop souvent oublié dans notre monde. On s’arrête volontiers sur des grilles d’acquisition du langage, et des grilles d’évaluation du langage.

On parle de retard, on compte les mots connus, on compte et on classifie les erreurs de langage, on fait des inventaires et on dit, « Il a quatre ans, mais il a un langage de 2 ans 4 mois ». Oui on peut faire ce type de description de l’état du langage à un moment donné. Mais il y a ces deux côtés essentiels, qui ne se mesurent pas, mais qui sont fondamentaux, et que quelquefois, il faut aider à restaurer… C’est beaucoup ça, notre travail d’orthophoniste, il me semble.

Mais je vais vous exposer maintenant des choses plus techniques, qui retracent à grands traits la chronologie de la vie d’un bébé, par rapport à cette question des mots, de comment les mots viennent aux enfants. Je le ferai notamment en me référant aux travaux du linguiste et psychanalyste, Laurent Danon Boileau.
On dit communément qu’un enfant doit pouvoir se faire comprendre à l’âge de 3 ans, même par une personne qui ne le connait pas, mais bien sûr, il y a beaucoup de choses qui s’établissent avant ces fameux 3 ans, et qui vont asseoir les soubassements du langage. C’est tout ce dont je vous ai parlé plus haut. Voyons comment ça se manifeste, en gros, dans le développement d’un enfant.

Parlons d’abord du tout début de la vie, jusque vers 6 mois environ. Au tout début de la vie du bébé, il y a comme une réciprocité qui s’installe, dès les premières heures de vie : La maman va vite repérer le moindre changement dans l’attitude du bébé, et essayer de s’y adapter sur un mode polysensoriel : il va y avoir la voix, le toucher, la façon de le tenir, la posture, le regard, les mimiques du visage, les mouvements… Ce ne va pas être uniquement du langage, ça va passer par tout le corps. Et la maman, je vous le disais tout à l’heure, va « interpréter » tous ces signaux, en tout cas elle, elle va les recevoir comme des signaux, et du coup va leur donner un sens, une signification. ( faim, bobo, chaud, sommeil…). Ça va vouloir dire quelque chose pour elle.

Un étranger qui ne connait pas le monde des bébés, ne verra lui, que des gesticulations sans sens. Mais pour la mère, et le père, ça prend sens. Le bébé petit à petit va s’exciter en présence de sa mère, il va bouger dans tous les sens, agitant bras et jambes. Il va la reconnaître. Attention, ça ne veut pas dire encore qu’il l’a dans la tête, qu’il en a une représentation dans sa tête. Quand elle n’est pas là, il ne la cherche pas. Mais quand elle apparaît dans son champ de vision, il est tout content et il la reconnaît. A cette période-là, les sons que produit le bébé ne sont pas les sons de sa langue maternelle. Tous les bébés du monde font les mêmes bruits, les mêmes phonèmes (japonais, chinois, français.. c’est plus tard que ça se spécifie)

Vers 6- 8 mois à 1 an : Le bébé commence à avoir une représentation de sa mère. Ou peut-être ce serait plus juste de dire qu’il a une représentation de l’état dans lequel il se sent quand il est avec elle.
Parce que au début, l’enfant ne sait pas exactement où finit lui, sa propre personne, et où commence la personne de sa mère. Comme si étaient un peu confondus à la fois lui et elle. Il n’a certainement pas une représentation d’une personne complètement séparée qui existe en dehors de lui. Mais sans doute une représentation d’un état qui est bien, confortable, c’est son état à lui quand il est avec elle.

 

Et c’est aussi vers cette période que les sons qu’il va produire vont se restreindre, pour ressembler aux phonèmes de la langue qu’il va parler, de la langue de sa mère. C’est donc que d’être baigné dans ce langage-là, ça a des effets, et il va commencer à les « reproduire ». C’est une imitation de ce que lui disent sa mère et son père. D’où l’importance de tous ces jeux d’échange qu’on peut faire avec un bébé, même s’il ne parle pas avec des mots. ( Areu areu..; ba ba ba..; etc…)

A cette période arrive aussi ce qu’on appelle l’angoisse des 8 mois, face à un étranger. Ça nous permet de penser que c’est vraiment à ce moment, que le bébé commence à avoir une représentation intériorisée de sa mère, même quand elle n’est pas présente. Il y aurait alors une continuité. Cette angoisse des 8 mois, c’est quand un étranger se penche vers lui pour lui faire des familiarités, et qu’il peut se mettre à hurler. Parce que ce n’est pas la personne habituelle, il ne la reconnaît pas, et normalement, ce n’est que sa mère ou son père, ou les personnes connues, qui se permettent de s’adresser à lui sur ce mode-là. Comme on lui fait des familiarités, il s’attend à reconnaître sa mère, mais non ce n’est pas elle, avec ses yeux il voit bien que ce n’est pas elle, donc, angoisse. Vous voyez déjà comme c’est compliqué de grandir… Parce que c’était moins difficile, et moins angoissant, quand il se rendait moins compte de qui était là ou pas.

C’est souvent à cette période que peut apparaître un doudou, qu’on appelle un objet transitionnel, cet objet dont l’enfant ne sait pas trop si c’est lui, ou si ce n’est pas tout à fait lui…un objet qui se situe entre les deux, qui aide à faire la transition, entre l’état confortable avec la maman, et l’état moins confortable quand il est tout seul. Cette période qui commence vers les 8 mois est très riche, parce que c’est là que nombre de jeux se mettent en place. Des jeux, avec une réelle intention. Ce ne sont plus les signaux du nouveau-né que la mère interprétait certes, mais que le bébé ne faisait pas avec une intention de communiquer quelque chose. C’est là qu’il commence à faire bravo, au revoir, qu’il détourne la tête pour dire non, qu’il tend les bras pour qu’on le prenne. C’est là qu’on joue beaucoup à « je te donne ça, et tu me le redonnes dans la main », pendant des grands moments. Il y a le jeu de coucou/caché. Qui est très important, parce qu’il permet de jouer avec l’absence, et de l’apprivoiser. Et qui va se travailler longtemps encore. Et commence à s’introduire une notion très importante, qui est la pensée, la « continuité de penser ».

Et puis il y a tous les jeux qu’on appelle de « pointage », et d’attention conjointe. C’est-à-dire que le bébé montre du doigt, (sur un livre c’est génial), mais ça peut être aussi devant les étagères de la cuisine, et l’adulte inlassablement nomme et renomme les choses. On parle d’attention conjointe, parce que l’adulte et l’enfant ont tous les deux le regard qui va dans la même direction, et ils sont tous deux dirigés vers le même sens, le même axe. Ils ne sont plus en face à face.

Ce pointage est très important, pour un grand nombre de raisons : Il en est une que je trouve qu’on ne dit pas assez, c’est que c’est un moment calme : je veux dire, un jeu uniquement de parole et de pensée. (et en plus ça ne coûte pas cher !) Je pense que ce n’est pas rien de faire une place spéciale à ce jeu, à l’heure où on se plaint que les enfants ne peuvent pas rester tranquilles, ne peuvent être attentifs, manquent de concentration. (Cette hyperactivité dont on nous rebat les oreilles !) C’est un jeu qui n’a pas de mouvement (sauf le doigt) et même, il inhibe le mouvement. Et donc il sollicite autre chose, et cette autre chose, c’est la pensée.

A quoi ça sert de demander 10 fois ça ? et sans se lasser ? Eh bien c’est pour retrouver quelque chose. Ce « retrouver » est très important. Ce n’est pas la même chose que « trouver ». Dans le fait de « retrouver », il y a une reconnaissance de quelque chose qu’on connait déjà, ou qu’on a déjà vu, ou qui nous rappelle quelque chose qui lui ressemble par tel ou tel aspect… Et l’enfant demande à l’adulte de lui confirmer que ce qu’il est en train de voir est identique ou ressemble à autre chose qu’il a vu avant et qui est déjà une sorte de souvenir. Vous sentez comme se construit là une pensée et un continuum de représentations dans la tête ? Lui-même fait une identification entre cette cafetière, et une autre, et il demande à l’adulte de lui confirmer en lui nommant ou en lui parlant dessus. (“Ca c’est une cafetière. Elle est belle hein ? Tu te rappelles l’autre jour elle est tombée et elle a fait boum ! On a eu peur!”).

Pour ce cher pointage, il y a le livre, qui est… une aubaine dans nos cultures… Et ce qui est génial dans le livre, c’est que là peut commencer à venir l’idée que ce qui est dessiné sur un livre, c’est la pensée d’un autre ! Qui n’est pas là, qu’on ne connait pas ! Ça renvoie donc encore à un ailleurs, à un autre espace, ce fameux espace tiers. Et c’est un peu du même ordre que cette fameuse troisième personne dont je parlais tout à l’heure, qui empêche que mère et enfant ne soient que deux. Il y a l’enfant : un, sa mère : la deuxième, et un troisième. (Je vous disais tout à l’heure que pour parler il ne faut être pas être deux, mais trois ! Il faut un troisième, pas forcément là, mais qui occupe la mère ailleurs qu’uniquement sur son enfant, et que c’était une condition pour entrer dans l’ordre symbolique.) Le livre, c’est un peu quelque chose qui a à voir avec cette troisième place-là : un tiers situé ailleurs que dans l’interaction directe entre lui et maman.

De 1 an à 18 mois (à peu près!) Apparaissent les premiers mots (plutôt vers 15, 16 mois): « Papa » et « maman », et quelques autres, qui ne sont peut-être pas vraiment des mots : il y a voilà, a pu, encore, ça. Et puis le fameux « non ». Les onomatopées arrivent aussi : le bruit du chat, de la vache, de la voiture. Là, c’est différent de « ça », « a pu »…, parce que c’est souvent en lien avec la motricité. La motricité, il ne faut pas oublier que c’est la grande affaire de cette période-là : l’enfant se met à marcher tout seul. Et ça change beaucoup de choses !

Il fait souvent « Vroum vroum » en faisant rouler une petite voiture ou un camion, et pareil pour tous les animaux. Ça ne sert pas à nommer un objet précisément encore, mais plutôt à accompagner un mouvement de jeu, ou un scénario, tout un contexte, que l’enfant reconnaît et refait. Et puis il va passer à la « généralisation ». Tout ce qui roule va s’appeler « vroum vroum ». Dès qu’il retrouve un point commun, il le nomme « vroumvroum ». Et le point commun dans le cas de « vroum vroum », celui qu’il repère, c’est que ça roule ou que ça avance.

Et puis vers 1 an et 4 mois, ça va se perfectionner, et on pourra penser que le « vroum vroum » est un mot. C’est-à-dire qu’il va pouvoir dire « vroum vroum », pas seulement en jouant avec sa petite voiture, mais quand il la voit hors de portée par exemple, et qu’il voudrait qu’on la lui donne. A ce moment-là, il la nomme vraiment.

Et puis, encore un stade au-dessus, il dira « vroum vroum », sans forcément la vouloir. C’est-à-dire que cela signifiera : « tiens, une voiture ». Ou « tiens, j’entends le bruit d’une voiture ». Ce n’est plus forcément pour « demander » quelque chose : ce n’est plus pour jouer à faire rouler la voiture, ou pour qu’on lui donne la voiture. C’est comme un commentaire. C’est gratuit. Pas pour obtenir quelque chose. C’est déjà bien plus abouti. Ça, c’est vraiment du symbolique. Et c’est le début. Le mot parlé devient une vraie représentation de la chose, et ce n’est plus seulement pour adresser une demande à l’adulte.

Et vers 18 mois jusqu’à 2 ans : On parle d’explosion de vocabulaire. Cela va très vite en effet. (Vers 18 mois, les enfants peuvent avoir un stock d’une cinquantaine de mots). L’enfant va faire plein de différenciations et de généralisations. Les deux opérations sans arrêt. Au début « vroum vroum » servait pour tout ce qui roule, et puis ça va s’affiner, et l’onomatopée ne va plus suffire. Il va falloir nommer différemment le vélo et la voiture. Puis la voiture et le camion. Puis la moto et le vélo. Ce qui signifie que l’enfant va être capable de faire des généralisations en voyant en quoi c’est pareil, et des différenciations en voyant en quoi c’est différent.

C’est aussi à cette période qu’on voit que les mots sont de vrais mots (même s’ils sont déformés) parce qu’il il les dit, même si les choses ne sont pas présentes. Exemple de la petite Luce qui a 15 mois et qui dit « ga ». Ses parents pensent que ça ne veut rien dire, que c’est comme un gazouillis, mais sa grand-mère sait que ce « ga » veut dire « galette ». Et elle dit « ga », même sans voir les galettes. Vont arriver aussi les jeux de faire semblant : faire semblant de manger. Faire semblant de faire dormir une poupée. L’enfant adore imiter et faire semblant, et c’est toujours bon signe. (Tous les jeux sont bon signe !)

Vers 2 ans : Il va pouvoir dire 2 mots : « papa parti », ce qui est comme le début d’une articulation de la grammaire. Et c’est parti. Ensuite, tout cela va s’enrichir, le « je » apparaîtra, la question pourquoi aussi La prononciation va se rapprocher de la prononciation standard.
Normalement ça ne s’arrête plus. (Si à l’adolescence, souvent ça parle moins.)


Pour conclure, je pourrai poser la question de : qu’est-ce qu’on gagne à parler ? On prend de la distance quand on parle, par rapport au monde. On peut parler de tout puisqu’on a des mots pour dire même ce qui n’est pas là, n’est pas visible. Et on prend aussi de la distance par rapport à sa propre pensée, puisqu’on la voit changer, se modifier, évoluer.

Il faut toujours se dire que le langage donne une idée de la pensée de la personne. Mais ce faisant, on perd aussi de cet état où l’on n’était presque qu’un corps, centré sur la jouissance du fonctionnement de nos organes. Le langage vient déranger tout ça. Cette perte est un des prix à payer pour que le petit d’homme accède à tout ce que le symbolique va permettre.

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