Texte – Bilan de langage

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UN BILAN DE LANGAGE : Critères d’évaluation et Fondements théoriques

Claire de Firmas, orthophoniste, formatrice

 

De nombreux tests existent pour évaluer les compétences de maniement de la langue. Nous préconisons, en complément, des critères d’évaluation clinique du langage, protocole référé aux théories du développement de la fonction symbolique. Le langage est un signe de santé très fin, à la jonction du corporel et du psychique, nous pratiquons un bilan clinique qui vise à repérer (dépister) et observer (évaluer) les hiatus (dysfonctionnements) apparaissant au niveau de la voix, de la parole et du langage, susceptibles d’entraver le développement de la personnalité et des relations.

Fondements théoriques
Le langage ne s’enseigne pas. Il est une compétence humaine constitutive, qui se développe au sein de la fonction symbolique. Cette compétence est nourrie des interactions avec l’entourage, et tout particulièrement les parents, puis à travers les expériences de socialisation plus large. Le langage se réalise dans la parole (au sens de discours), dans l’écriture, au moyen d’une langue qui, elle, est apprise. La linguistique distingue la langue, le discours, le langage. Au cours du développement de l’enfant, ces trois niveaux apparaissent dans l’ordre inverse. On peut considérer la pathologie du langage comme un catalogue de troubles entravant une fonction, ou comme un symptôme au carrefour du psychique et du corporel. Nous proposons de considérer tout trouble de langage, quelque soit le niveau où l’on suppose que se situe l’entrave, comme un signe c’est-à-dire pris lui-même dans le symbolique.

La fonction du bilan de langage
La description de départ, qui n’échappe pas à l’emprise de la relation, a une fonction de référence au cours de la prise en charge, afin de juger de l’évolution du langage du sujet par rapport à sa demande initiale et aux contraintes sociales, afin d’aboutir à un équilibre plus satisfaisant entre la demande singulière du sujet et l’appropriation de règles sociales, compromis satisfaisant, c’est-à-dire souple et riche, permettant un maniement symbolique de la langue.

Technique du cadre : Présentations réciproques
Quand nous recevons un patient pour la première fois, nous commençons par lui demander le motif de la consultation et par nous présenter. C’est-à-dire que nous signifions d’emblée une fonction essentielle du langage : se nommer, se dire, se parler, entrer en relation. Nous signifions d’emblée que nous sommes comme tout humain pris dans le langage et que nous en éprouvons les difficultés : timidité, maladresse, inexactitude, malentendu. Nous nous adressons à l’enfant, signifiant ainsi notre a priori de travail : nous considérons le patient comme un sujet, fut-il en devenir. Nous adressons nos questions aux parents signifiant ainsi la dépendance dans laquelle nous reconnaissons que tout enfant est pris. Un sujet c’est quelqu’un qui est capable de dire « je ». Un sujet se construit, se modèle de chaque prise de parole et donc de chaque relation : le sujet « je » n’existe qu’en face d’un autre sujet « tu », tous deux référés à un tiers « il », car est sujet humain celui qui se reconnaît assujetti au langage. L’enfant à sa naissance est sujet en devenir qui a besoin pour y parvenir d’être reconnu comme tel. Aux débuts de la parole, c’est la signification, illusoire, que la mère attribue à la production de son enfant qui le fait entrer dans le registre signifiant. En rééducation, nous employons ce mécanisme pour permettre à l’enfant de se révéler à lui-même à travers le regard que nous posons sur ses productions, considérées a priori comme signifiantes bien que le sens en demeure souvent caché.

Le rapport au savoir
Les consultants viennent voir un spécialiste, pris comme eux dans le langage mais qui a une distance différente car il a fait du langage son thème de prédilection, il réfléchit sur le fonctionnement et les pathologies du langage : c’est sa compétence (un psychomotricien, un infirmier, un éducateur, un médecin, … ont de même leur compétence professionnelle). Les consultants ont leur compétence propre qui est d’habiter leur corps, leur histoire, leur vie. C’est pourquoi nous leur laissons le choix de leurs moyens et de leurs rythmes de travail. En d’autres termes, le savoir n’est pas considéré comme propriété à vendre mais plutôt comme un capital humain dont chacun a vocation à s’emparer d’une part. C’est la fonction pédagogique de la relation thérapeutique qui permet l’appropriation de ce savoir par le consultant. En revanche le savoir sur soi est considéré comme la propriété inviolable de chacun.

L’observation
Lors du bilan de langage, il s’agit de repérer comment d’éventuelles altérations par rapport à la langue orale ou écrite s’inscrivent dans la parole du sujet. C’est-à-dire observer les liens entre des éléments d’anamnèse, le comportement corporel et relationnel de l’enfant, son appropriation de la langue, son investissement du langage, son inscription dans la fonction symbolique. L’intrication de ces différentes observations doit être mise en rapport avec la dynamique que le patient se montre prêt à mettre en œuvre tandis qu’il élabore une demande de relation thérapeutique.

Bilan et rééducation : quels objectifs ?
L’objectif du bilan n’est pas tant d’évaluer le niveau de pathologie d’un langage que la possibilité de créer un compromis favorable au soulagement de la souffrance du sujet. Ce qu’il s’agit de pouvoir dire à l’issue de cette évaluation, c’est le bénéfice que chacun pense pouvoir escompter d’une rééducation entreprise dans un contexte similaire. L’expérience prouve bien souvent que « tout est dit lors du bilan » et que l’efficacité d’une rééducation ne tient pas tant aux techniques utilisées qu’à la qualité de la relation thérapeutique établie, au sein de laquelle les techniques sont mises en œuvre. Par-delà la description formelle de la parole et de ses accrocs, le bilan vise à évaluer le niveau d’évolution et de souplesse : déformations constantes ou variables, étude de cette variabilité, retentissement sur la relation, l’échange, la communication, rapport de l’enfant et de son entourage aux accidents ou imperfections de la parole.
Il s’agit de se faire une idée de là où se situe l’entrave et du niveau auquel cette entrave peut être travaillée.
Le langage se développe au sein des relations familiales précoces. Le bilan de langage d’un enfant doit prendre en compte le rapport de ses parents au langage, leur souffrance au niveau de la parole, souffrance qui est remise en scène par les difficultés de leur enfant. Le bilan devra évaluer la part que l’enfant semble prêt à prendre et la disponibilité dont ses parents peuvent faire preuve pour que s’élabore la parole propre de l’enfant.

En conclusion
Le bilan de langage doit permettre d’évaluer les différents marqueurs linguistiques de la constitution de l’identité et des compétences relationnelles :

➢ Les modalités spontanées d’entrée en relation et de communication.

➢ L’inscription dans la fonction symbolique.

➢ Le niveau d’acquisition et de maniement du code linguistique de la communauté à laquelle appartient le patient.

➢ Les stratégies d’apprentissage.

➢ La demande du patient et de sa famille et l’écart avec les évaluations « objectives ».

➢ L’histoire du patient.

Le bilan doit être un temps d’observation plutôt que d’évaluation exhaustive, durant lequel le praticien relève l’occurrence de ces différents indicateurs et leurs liens, en relevant les points positifs sur lesquels il pourra s’appuyer. L’objectif d’une rééducation orthophonique est d’accompagner le sujet dans l’élaboration d’une parole juste, c’est-à-dire en justesse avec lui-même en relation avec sa communauté linguistique et son histoire singulière plutôt qu’une parole droite c’est-à-dire simplement conforme au code formel.

Références théoriques : Notre approche clinique est fondée sur une théorie du langage référée aux travaux de F. de Saussure, E. Benvéniste, R. Jackobson, S. Freud, F. Dolto, C. Chassagny, J. Lacan, D.W. Winnicot

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