Texte – L’écrit, le secret, l’intime.

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L’écrit, le secret, l’intime, dans les Ateliers d’écriture

Maryvonne COLLOT, orthophoniste, formatrice aux Ateliers Claude Chassagny


Dans le cadre de ces soirées, j’ai présenté une étude clinique de l’ensemble des écrits d’une adolescente suivie en Atelier d’écriture en CMPP. Cette présentation s’appuyant sur de larges extraits de textes produits, ceux ci ne peuvent être repris ici dans leurs formes originelles. Les modifications qui s’imposent risquent alors d’en banaliser la teneur et d’en réduire l’intérêt illustrateur. Car ce dont il s’agit tout au long de ces productions, c’est bien de repérer ce qui, dans le fond, mais aussi dans la forme, traduit les changements qui s’opèrent chez l’auteur. Changements au niveau de la parole écrite qui rendent compte des mouvements psychiques en cours, tels que :

  • L’évolution des pronoms personnels, d’abord le « on », puis le « moi et mes copines », et enfin le « je ». 
  • L’évolution des thèmes retenus, issus au début, essentiellement du quotidien (vie scolaire), puis de la vie sociale et familiale, pour devenir projection possible dans l’avenir, et même, scénario de science fiction.

Il apparaît alors que l’intime et le secret ne sont pas à voir seulement dans le contenu du texte, dans les propos, le récit, et donc dans la teneur de ce qui est relaté, mais tout aussi bien dans le style, l’architecture du texte et donc la forme donnée à l’énoncé écrit.

Le texte qui suit, en remplacement de la présentation clinique faite dans le cadre des soirées, présente donc le fonctionnement de l’atelier d’écriture. Il tend à montrer les possibles effets thérapeutiques de l’écrit et plus particulièrement de l’écriture en situation groupale. La prise en compte des difficultés à l’écrit des adolescents y participant se réfère à l’approche de Claude Chassagny (les 2 orthophonistes co-animatrices sont formées à la Pédagogie Relationnelle du Langage et à la Technique des Associations).

A PROPOS DES ATELIERS D’ÉCRITURE POUR ADOLESCENTS EN CMPP


A) A PROPOS DE L’ÉCRITURE

En tant qu’orthophoniste il est nécessaire de préciser les références théoriques qui fondent ma pratique. L’orthophonie se nourrit des apports théoriques de la linguistique, de la pédagogie, de la psychanalyse et de la médecine qui s’intéressent toutes au langage et à sa pathologie.

Revenons sur les termes de : langage, langue, et parole.

Le langage se développe au sein de la fonction symbolique, dans les interactions entre l’enfant et son entourage. Il est constitutif de l’être humain, et par essence subjectif.Ses deux caractéristiques essentielles sont l’altérité et l’adresse.

La langue est un système de signes propre à une communauté, elle s’apprend et c’est par elle que se réalise le langage.

La parole est la mise en œuvre de la langue par un être humain, elle est singulière.

En ce qui concerne le langage écrit nous travaillons, comme pour le langage oral, au niveau de la parole. Écrire n’est pas reproduire et transcrire l’énoncé oral. L’énonciation passe par un code commun faisant appel à l’arbitraire du signe. Le niveau de symbolisation dans le langage écrit est différent de celui du langage oral. La lettre n’est pas une représentation de la chose, la lettre doit même perdre sont statut pour donner le mot écrit. Écrire c’est se confronter à l’absence, et ne plus pouvoir compter sur le support corporel du langage (voix, gestuelle).

Les adolescents qui participent aux Ateliers rencontrent tous des difficultés à s’inscrire dans le champ symbolique du langage.

B) L’ATELIER D’ÉCRITURE

L’entrée en atelier s’inscrit dans un processus thérapeutique. Notre objectif est d’inciter le participant à découvrir son écriture, à mettre à l’épreuve en compagnie d’autrui sa relation avec elle, à devenir l’auteur de ses écrits.

Nous l’invitons à passer d’une écriture « scolaire » à une écriture singulière, ceci en risquant ses mots, et non plus selon les codes et les règles extérieurs qui dessèchent les écrits. Pour cela nous proposons des « ouvertures » au sens musical, qui suggéreront une forme ou un thème, ceci dans les 3 registres suivants : la mémoire, l’imaginaire, le réel.

La mémoire, ce n’est pas tant se raconter,reconstituer,retracer fidèlement des évènements, mais plutôt faire appel au souvenir, voire au refoulé pour saisir un élément qui déclenchera l’écriture.

L’imaginaire, c’est se représenter, reproduire, combiner des images et des idées ; c’est aussi supposer, créer, inventer, et puiser dans la vie psychique les éléments sources de récits fictifs.

Le réel, c’est se confronter à ce qui est, dans l’immédiateté, la proximité et la subjectivité de l’expérience.

La proposition d’écriture, en référence à l’un de ces trois registres, n’est pas envisagée comme contrainte qui viserait une quelconque progression: elle cherche avant tout à surprendre, à étonner l’écrivant, pour lui permettre de faire surgir des liens, des réminiscences, des projections, venus du plus profond de son être.

L’atelier se déroule en séance hebdomadaire d’une heure. Le groupe est coanimé par deux orthophonistes, et accueille de quatre à huit adolescents. Les propositions sont faites par les adultes,qui eux n’écrivent pas.

L’écrit n’est pas collectif, mais individuel, chaque participant est ensuite invité à lire son texte, sans ordre pré établi. Chaque lecture est suivi de retours, c’est à dire d’échange sur l’écrit .Les textes produits restent dans des dossiers individualisés. Le temps d’écriture est précédé d’un temps d’échange oral.

 

C) POURQUOI DES ATELIERS D’ÉCRITURE

1) Genèse du projet

L’idée a progressivement germé dans le cadre de rencontres informelles entre orthophonistes au CMPP et notamment lorsque nous avons abordé dans le cadre de cette réflexion :

  • Les limites du travail en séances individuelles. Certaines limites tiennent à la médiation même, à savoir l’écriture en style pré discursif, c’est à dire sans phrase structurée, qui est utilisée dans le cadre de la Technique des Associations de Claude Chassagny et qui s’appuie sur les évocations et les associations, dans un échange intersubjectif. Mais certaines limites peuvent relever de la situation duelle telles que :
  • Le frein engendré par le regard de l’adulte et la difficulté de l’adresse
  • Ou l’assimilation à une situation d’enseignement (rapport enseignant / enseigné).
  • Ou encore une difficulté à envisager l’arrêt et la séparation.

La prise en compte de ces observations nous a conduit à « penser » une approche groupale de notre pratique clinique. Nous avons retenu le principe de l’atelier d’écriture en co animation.

2) La notion de groupe thérapeutique

Après avoir tenté de repérer ce qui peut être à l’origine de la création de l’atelier, reste à interroger le terme de « groupe thérapeutique ». Nous avons volontairement conservé le terme d’Ateliers d’écriture dans notre intitulé, car notre fonctionnement est celui classiquement reconnu dans les ateliers quelque soit leur lieu et leurs références théoriques (motivation, production, communication, réaction). D’autre part le terme d’atelier venant de « astelle » signifiant « éclats de bois », il nous semble évocateur des productions écrites attendues à savoir plutôt des « éclats d’écrits » que des textes finis. Le terme atelier suggère également un chantier, un entassement de matériaux avec lesquels s’essayer et cela évoque une création artisanale ou artistique.

Quant au terme de thérapeutique, il appelle quelques précisions. En ce qui nous concerne nous ne parlons pas de l’Atelier d’écriture en terme de groupe thérapeutique, mais nous disons qu’il a des effets thérapeutiques. Cette différence s’argumente par le fonctionnement même du groupe. En effet le dispositif de fonctionnement n’est pas conçu pour proposer une thérapie de groupe, tels que peuvent l’être le psychodrame ou la scénothérapie. La différence tient aussi à la médiation choisie, c’est à dire l’écriture. Ecrire est un acte essentiellement solitaire, le temps de l’écrit ne peut pas être complètement partagé malgré l’adresse nécessaire.

Il me semble important de parler à cet instant des modifications que nous avons apportées au fonctionnement de l’atelier, précisément en rapport avec la notion de groupe thérapeutique.

Nous nous sommes attachées au début des séances, à faire un suivi nettement individualisé des écrits. Entre autres, les retours que nous étions amenées à faire étaient nettement individualisés et centrés sur ce que nous percevions du participant concerné. A l’heure qu’il est, nous tentons de recentrer les propositions et les productions écrites dans la vie du groupe. D’autre part nous n’avions pas, lors de l’élaboration du projet, précisé comment nous allions prendre en compte les effets de groupe et notamment les relations intersubjectives.

Ceci nous amène d’ailleurs à faire une distinction importante concernant le travail en groupe dit thérapeutique.

  • Soit il s’agit de centrer le travail sur la médiation elle-même, c’est à dire qu’elle conditionne le fonctionnement groupal (en fixe les règles, les modalités).
  • Soit la médiation (donc ici l’écrit) est un prétexte, un support à la rencontre groupale et ce qui est visé c’est la création de « l’objet groupe ».

En ce qui concerne l’atelier d’écriture, nous sommes à un moment charnière de notre réflexion concernant la notion de groupe thérapeutique. En effet après avoir privilégié la médiation, donc l’écrit, la production écrite, nous tentons actuellement de repérer comment articuler l’écrit, essentiellement subjectif, avec l’élaboration de l’objet groupe. Ceci nous demande entre autre de pouvoir repérer les effets du groupe sur l’écrit, par exemple, ce qui s’est dit ou a été écrit auparavant. Mais ceci nous demande aussi de faire des propositions d’écriture, de les réfléchir, en tenant compte des phénomènes de groupe, sans être pour autant dans la projection.

 

CONCLUSION


Parler des groupes thérapeutiques nécessite donc d’aborder la question du lieu, de la médiation, mais aussi du cadre. A cela il faut sans doute ajouter la motivation du clinicien, celle de l’institution et les choix théorico-cliniques qui soutendent le projet. L’atelier d’écriture n’est pas en soi un groupe thérapeutique, il n’est qu’à voir l’importance de leur nombre et la diversité des lieux où ils se déroulent.

La spécificité de notre projet tient au fait qu’il s’inscrit dans un projet thérapeutique en cure ambulatoire, et au regard particulier porté sur l’écrit par deux cliniciennes orthophonistes.

L’atelier d’écriture est bien pour nous un groupe qui a des effets thérapeutiques. L’écrit est un « prétexte » à la rencontre. Les difficultés d’écriture des participants en étant reconnues comme telles pour chacun d’eux, permettent de créer un sentiment d’appartenance, d’identité, qui rassure et rassemble. Nous tentons de permettre une « conciliation » entre l’adolescent et l’écrit et c’est en cela que l’atelier à des effets thérapeutiques.

A propos des effets thérapeutiques, nous pouvons dire qu’ils sont dus : 

  • A la prise en compte de l’inconscient et à ses effets dans les champs du langage oral et écrit. L’atelier n’est pas du côté des apprentissages et des acquisitions d’une norme ou d’un savoir écrire. L’inconscient est sollicité tant sur le fond (choix à partir de la proposition) que sur la forme (le style, la syntaxe, le lexique.
  • Au lien entre le travail d’écriture et le travail psychique, il va donc y avoir des effets à ces deux niveaux. L’écriture amène à un travail sur soi. Le travail psychique passe par la contrainte, l’organisation de la pensée, le rapport à l’implicite.
  • A la dimension de l’adresse. Celle-ci est en premier lieu l’adresse au groupe, aux différents participants, mais aussi l’adresse à l’intérieur même de l’écrit.
  • A la rencontre avec différentes formes d’altérité. Avec notamment les mouvements transférentiels à l’égard de chaque membre du groupe, mais aussi des rencontres antérieures qui sont réactualisées. L’altérité apparaît également de façon singulière sous forme d’absence dans la solitude de l’écriture.
  • Dans la transformation d’éléments de la problématique en objet distancié (texte) La proposition fait écho chez l’écrivant, à un moment donné, et donne lieu à un écrit, qui après lecture devient un objet partagé par le groupe. Il y a également possibilité pour chacun de s’identifier à l’auteur (à partir du même, du pareil)
  • Enfin par la découverte de la différenciation et la possibilité de « se penser » différent .Cette différenciation passe entre autres par la diversité des écrits à partir d’une même proposition.

L’effet thérapeutique porte sur la parole (construction psychique) et sur l’écrit (conciliation élève / sujet).

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