Texte – Gabriel, quand les liens s’emmêlent…

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Présentation de cas clinique –  Journée des CMPP – Thème « Liens et séparations » 27 novembre 2013 – 51 000 Châlons-en -Champagne

 

Gabriel, quand les liens s’emmêlent …

Diane PERTUISOT, orthophoniste

 

Le cas de Gabriel m’est apparu intéressant à exposer aujourd’hui pour illustrer un relais de prise en charge en CMPP ayant provoqué un contexte de grande confusion, qui s’est avéré déstabilisant tant pour l’enfant que pour moi et pour ceux qui l’entouraient. Ce cas implique et questionne alors les notions de lien et de séparation à différentes échelles.

Il s’agissait d’un relais de suivi en orthophonie car l’orthophoniste de Gabriel partait à la retraite. Les choses se sont décidées plus ou moins dans l’urgence entre février et mars de la même année. L’orthophoniste était très embêtée d’arrêter avec cet enfant et m’avait sollicitée avec insistance. J’ai alors accepté, un peu forcée et contrainte, de prendre le relais pour Gabriel.

Ne travaillant pas les mêmes jours au CMPP et ayant du mal à nous joindre par téléphone, nous n’avions pas pu nous rencontrer physiquement ni échanger oralement à propos de Gabriel. Tout s’est effectué par notes écrites, interposées dans le tiroir de notre bureau commun. Les choses semblaient déjà étranges dans la façon de préparer la séparation annoncée et de faire du lien entre nous.

D’après les notes de l’orthophoniste, j’avais pu apprendre que ce petit garçon de 6 ans et demi était au CP et avait débuté l’apprentissage de la lecture. Les séances d’orthophonie devaient accompagner et optimiser cet apprentissage (travail à partir du livre de lecture de l’école et aide des gestes Borel).

Gabriel a donc quitté son orthophoniste avant les vacances d’hiver et j’avais prévu de le rencontrer avec sa maman à la rentrée. Il y avait des craintes des deux côtés : la maman, très angoissée pour son fils, était contente que la prise en charge continue sans interruption, mais elle redoutait le changement. Quant à moi je ne savais pas vraiment à quoi je m’engageais faute d’éléments, si ce n’était de rattraper le fil lâché par ma collègue et de tenter d’assurer une continuité dans le travail entamé.

La position était plutôt inconfortable je dois l’avouer, et de mon regard de jeune orthophoniste, plusieurs sources de confusion me sont apparues.

Certes il y avait changement d’orthophoniste mais les séances avaient lieu dans le même bureau que précédemment (bureau que je partageais avec l’orthophoniste avant son départ ). Nous avions changé l’heure du rendez-vous , mais il demeurait le même jour. Gabriel s’en est trouvé désorienté malgré mes explications, et il s’inquiétait du sort de la dam e d’avant que j’avais soudainement remplacée : j’étais de fait assise à SA place de l’autre côté du bureau. Avait-elle disparu ? S’était-elle transformée ? Difficile de se séparer de son souvenir dans un lieu et à un moment qui nous la rappelaient sans cesse !

Plus tard, j’ai pris conscience que, dans la précipitation, j’avais aussi manqué de marquer un nouveau départ au premier rendez-vous avec la maman. Je me suis inscrite d’emblée dans une poursuite du travail tel qu’il avait été commencé, imaginant que la situation serait peut-être plus simple qu’elle n’était en réalité. A tort, je n’ai pas refait de nouveau « bilan » au sens « nouvelle rencontre avec Gabriel », au -delà des transmissions qui m’avaient été faites et des dires de la maman.

Par la suite, durant les premières séances, j’ai même tenté d’imiter la méthode utilisée jusque -là, pour ne pas perturber les repères de Gabriel. Seulement cette méthode ne me correspondait pas du tout et la confusion m’a aussi gagnée quant à la façon de faire … Vis à vis de la maman et de ses attentes de réussite scolaire, je ne me sentais pas autorisée à agir autrement que l’orthophoniste précédente. Pourtant le comportement étrange de Gabriel m’y encourageait de plus en plus et mettait l’apprentissage du langage écrit au second plan de mes préoccupations…

A ce propos je trouvais que le scolaire était très intrusif dans le suivi. La maman semblait incarner l’école en apportant le livre de lecture pour que nous travaillions avec en séance.Très inquiète, elle avait également pris l’habitude de venir au dernier quart d’heure de la séance pour voir ce qui avait été abordé et le reprendre à la maison. Je m’étais laissé imposer cette habitude instaurée par ma collègue d’avant, mais cela ne me convenait pas non plus… Gabriel, très lié à sa maman, entretenait une relation de dépendance avec elle ; hyper angoissé, il l’attendait toute la première partie de séance. Il n’était donc pas encouragé vers la séparation ni d’avec sa mère, ni d’avec le scolaire qu’elle pointait continuellement de manière presque toxique.

Quel sens prenait alors la séance d’orthophonie ? Quelle place m’attribuait Gabriel ? Comment construire une relation privilégiée avec lui au milieu de cette pelote de fils, où tout semblait s’enchevêtrer et manquer de distinction ; tant au sein de la relation de l’enfant à sa mère, que par l’exigence scolaire de la maman, prenant presque une place de maîtresse en imposant « l’école » en séance d’orthophonie, et enfin aussi au cœur du mystère confus persistant entre moi et … la dame d’avant.

A cela s’ajoutait un fait institutionnel. Contrairement à l’orthophoniste précédente qui faisait partie de la même synthèse que les autres professionnels engagés auprès de Gabriel, je devenais une intervenante hors synthèse, car absente du CMPP le jour de la réunion. Il a fallu assumer cette séparation supplémentaire, par rapport à l’équipe cette fois, qui nécessitait de créer des liens/ d’échanger autrement et de manière plus complexe au sujet de Gabriel. Ceci a également apporté de la confusion à la situation, du fait d’un éclatement des informations au sein du CMPP et d’une difficulté à communiquer.

Au fil des séances, Gabriel a aussi apporté et manifesté de la confusion et de l’angoisse qui faisaient écho à tous ces bouleversements insécurisants. D’autres évènements extérieurs au CMPP ont aussi joué. Gabriel semblait perdu et se débattre au cœur d’une toile d’araignée. Il allait jusqu’à confondre le réel et l’imaginaire. Il partait dans des rituels de dessins confus au tableau, des histoires plaquées/récurrentes avec des personnages confondus entre eux. Des notions scolaires non assimilées faisaient irruption dans ses histoires incohérentes. Gabriel avait du mal à s’y retrouver et moi j’essayais de le canaliser et de faire sens avec tout cela. Je lui ai longuement apporté mon écoute, considérant sa parole et cherchant à structurer les choses et à le rassurer. Sa parole fut un jour des plus authentiques : « z’y comprends rien, t’y comprends rien !!!» me hurla -t-il, prostré dans un coin de la pièce. En effet, nous n’y comprenions plus rien ni l’un ni l’autre…

Grâce au langage et à la relation de confiance qui a mis plusieurs mois à s’établir entre Gabriel et moi, sans sa maman que j’ai progressivement écartée de l’espace de la séance, nous avons réellement pu faire connaissance, démêler et parler les choses. Nous avons pu évoquer l’absent à maintes reprises pour s’y relier mais aussi s’en séparer progressivement : l’orthophoniste partie en retraite, qui existait toujours mais ailleurs ; sa maman, qui désormais l’attendait dans la salle d’attente et nous laissait le temps de la séance ; ensemble nous avons même évoqué le papa de Gabriel que je n’avais pas encore rencontré mais que je considérais par la pensée, ce papa dont Gabriel portait la référence culturelle avec sa peau métisse. Inconsciemment, j’ai cherché à mettre du tiers dans une démarche de travail sur la représentation, la symbolisation et la différenciation. A travers des médiations diverses (histoires, jeux, échanges) nous avons pu co-construire NOTRE lien unique avec Gabriel, qui commençait à tenir bon dans la fiabilité de nos rencontres. Nous avancions ensemble dans son appropriation du langage et de toute sa dimension symbolique, permettant de faire sens et d’y comprendre peu à peu quelque chose.

Par cette illustration, le relais de prise en charge apparaît complexe pour tous, intervenants comme patients. Les choses sont loin de se faire facilement, surtout lorsqu’elles ont lieu précipitamment. D’où l’importance du temps et des mots qui viennent donner du sens, au lieu de répondre à l’urgence, tant pour créer de nouveaux liens que pour prendre de la distance, par rapport aux personnes et aux évènements.

Entre « transfert de cadre » et « lien transférentiel » n’y-a-t-il pas là d’autres pistes de questionnement ?

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