Texte – Fondements pour une approche subjective du langage

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TROUBLES DE LA PAROLE, TROUBLES DU LANGAGE  :  Journée de formation collective du CMPP de Saint-Ouen l’Aumône (95) Vendredi 30 mai 2014

Dans le cadre de cette la journée, Flore Courtès-Ludon, adhérente des Ateliers et orthophoniste au CMPP, a sollicité un formateur de l’association pour assurer un apport théorique sur le thème des «troubles de la parole et du langage» et sa mise en liens avec les présentations cliniques préparées par elle-même et par d’autres professionnels du CMPP.

Nous retranscrivons dans cet article l’exposé théorique du matin illustré en deuxième partie par les cas cliniques de Flore Courtès Ludon. Le style oral des présentations a été conservé, seuls ont été modifiés les noms propres des cas cliniques afin de respecter la confidentialité.

 

I. Fondements pour une approche subjective du langage

Claire de Firmas, orthophoniste

 

Bonjour. Ce que je vais essayer de vous transmettre aujourd’hui, ce sont les avancées théoriques de l’association à laquelle j’appartiens, c’est donc le fruit d’un travail collectif, issu à la fois de la clinique et de la transmission aux cliniciens et aux étudiants en orthophonie.

L’association à laquelle j’appartiens, les Ateliers Claude Chassagny, est une association de recherche et de transmission sur le langage et sa pathologie, association qui soutient une approche subjective du langage.

Je vais donc vous parler des fondements théoriques de l’approche subjective du langage en prenant le temps de définir les termes du titre de votre journée: « troubles de la parole, troubles du langage », en particulier les mots « parole » et « langage ». En effet, on ne peut prétendre s’occuper de troubles du langage sans avoir réfléchi à la théorie du langage à laquelle on se réfère et qui induit notre positionnement clinique mais qui est le plus souvent implicite.

Avec Flore Courtès-Ludon, nous avons choisi de focaliser nos interventions sur le langage écrit, parce que le titre de votre journée est extrêmement vaste, il recouvre pour ainsi dire tout le champ de l’orthophonie, et donc il fallait choisir un angle d’attaque. Nous allons réfléchir ensemble à ce qu’il y a de spécifique dans l’écrit par rapport à l’oral, les différences, ou pas, entre l’oral et l’écrit, et les empêchements à écrire qui découlent de toute cette réflexion théorique, qui -il faut toujours le rappeler-est issue de la clinique, par un va-et-vient constant, une articulation théorico-clinique qui est le propre de nos métiers basés sur la relation. Je terminerai par une brève présentation de la technique que nous utilisons avec ceux qui écrivent, un tant soit peu.

Commençons par le titre de votre journée, et d’abord le choix du mot « trouble » plutôt que « symptôme ». MonsieurFrancisco Herrada, qui vient de faire l’introduction de cette journée, en a parlé, je reviendrai dessus, mais je veux en préambule vous en dire une chose :

«Trouble » ça évoque la pathologie. La pathologie nous rend visible ce qui est invisible dans la santé, c’est particulièrement vrai pour tout ce qui concerne la pathologie du langage. Un langage en bonne santé, une parole en bonne santé-je vais définir ces deux termes l’un par rapport à l’autre-ça marche tout seul, on ne s’en aperçoit pas. Je dis souvent à mes patients: le problème quand on a des ennuis avec les mots, c’est que plus on fait d’efforts moins ça va. Car pour être en bonne santé, la parole doit rester spontanée. Ce qui nous conduit à la question suivante: Quels moyens mettre en œuvre pour soulager la souffrance que nos patients rencontrent avec la parole sans mettre en péril un peu plus l’équilibre fragile de la parole par une attention excessive ?

Comme les orthophonistes passent leur temps à chercher comment faire pour soulager les entraves à la parole, voilà pourquoi ce sont les orthophonistes qui parlent de la parole et du langage. Confrontés à la pathologie du langage, les orthophonistes ont une intimité avec cette compétence humaine extraordinairement complexe, mais pour autant le langage est une chose trop grave pour la réserver aux seuls orthophonistes ( je paraphrase ici Georges Clémence au qui disait que « la guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires » ). Je sais qu’ici il y a plusieurs professions différentes, vous êtes une équipe pluridisciplinaire et c’est ce qui m’intéresse dans notre journée, parce que le langage concerne tout un chacun, il a une dimension sociale et politique, c’est une conviction que nous portons aux Ateliers Chassagny. Quand la pathologie est là, le meilleur moyen de la soigner c’est encore de ne pas perdre de vue comment ça fonctionne quand ça va bien.

Avant de prétendre parler du langage et de sa pathologie, il faut commencer par des définitions, qui nous permettront de distinguer les mots « langue » , « parole », « langage » les uns par rapport aux autres. Aux Ateliers Chassagny, nous avons choisi de référer le langage à la notion de « fonction symbolique », extrêmement difficile à définir,  j’y reviendrai en passant par l’étymologie. Disons pour simplifier que la fonction symbolique c’est cette capacité spécifiquement humaine de faire des liens. C’est même plus qu’une capacité, on ne peut pas s’en empêcher.

Et le langage c’est cette capacité spécifiquement humaine de faire des liens, de créer du sens, avec les mots, avec la langue, de manière verbale.

Pour faire des liens, créer du sens, le langage s’exerce au moyen d’une langue, au sens de système de signes linguistiques, système de signes verbaux qui appartient à une communauté linguistique : le français, le chinois, l’arabe, l’hébreu… Chaque sujet exerce cette capacité à faire des liens, à créer du sens et exerce cette capacité au moyen d’une langue en prenant la parole. La parole est donc toujours éminemment absolument singulière. C’est une expression du sujet adressé à un autre sujet.

Pour le dire de manière figurée, imaginez des ensembles, 4 ensembles: la fonction symbolique, à l’intérieur de laquelle le langage qui la recouvre presque entièrement, à l’intérieur duquel il y a la langue, qui est une toute petite partie et c’est la mise en œuvre de cette capacité de langage au moyen de la langue qui crée de la parole.

J’ai donc défini les termes « langage » et « parole » de votre titre en les référant à la fonction symbolique. C’est très précieux pour la clinique de connaître l’étymologie du mot « symbole », qui a donné fonction symbolique : Imaginez dans l’Antiquité grecque, un groupe, une confrérie qui se constitue. A la fin de la première réunion, avant de se séparer, les membres du groupe fondé ce jour-là brisaient une poterie, un vase d’argile et se répartissaient les fragments du vase entre les différents membres présents. Le mot grec « sunbolon » qui a donné « symbole » désignait le fragment d’argile avec lequel chacun repartait et qu’il fallait montrer pour être admis à la prochaine réunion. Ce fragment d’argile, ce « sunbolon », ce symbole, c’était donc le signe d’appartenance à un groupe, signe qui pouvait être transmis, c’est-à-dire qu’on pouvait se faire représenter par quelqu’un à la réunion suivante pour peu qu’on lui ait transmis son fragment d’argile.

Et donc vous voyez comment, pour accéder au symbolique, il faut supporter que le tout ait disparu, appartienne au passé: plus jamais il n’y aura le vase d’argile entier.

Il faut supporter aussi que le signe n’ait d’autre valeurque ce qu’il représente, c’est un bout d’argile sans intérêt, et le bout d’argile m’est transmis par un autre,il n’a de valeur que dans la convention qui fonde la valeur de ce signe pour un groupe.

Nous avons dans l’étymologie tout ce que contient le symbolique : l’appartenance à un groupe, la nécessité de la transmission, l’arbitraire du signe conventionnel. Le symbole ne tient sa valeur que du sens qu’un groupe lui a donné, par convention, et de sa caractéristique de pouvoir être transmis.

Quant au mot « symptôme », il vient aussi du grec, comme le symbole, il est composé du préfixe « sun » (le i que nous nommons grec était un « u ») qui signifie: avec, ensemble et du verbe « piptein » qui signifie: tomber, survenir. Le symptôme, c’est ce qui tombe ensemble, ce qui survient en même temps. C’est pour cela qu’on dit qu’il n’y a jamais de symptôme isolé, parce qu’un symptôme c’est un signe qui rencontre un autre signe.

Voilà pourquoi nous préférons utiliser le terme de symptôme portant sur le langage, plutôt que celui de trouble. Nous n’employons pas le mot « symptôme » au sens psychanalytique de signe d’un conflit inconscient, mais au sens médical et linguistique de « signe » : qui ne tire sa valeur que du lien qu’il a avec un autre signe ou symptôme. Et c’est ainsi que nous nommons souvent notre travail orthophonique : clinique du lien.

Cette façon d’appréhender la pathologie du langage découle de la définition théorique qu’on en a donnée : une entrave à la parole, quels que soient son origine -même organique- et son niveau -prosodique, phonétique,lexical,syntaxique- fait signe pour l’autre et revêt un sens pour le sujet, simplement et ne serait-ce que par le fait qu’elle porte sur le langage, système de signes, et qu’on ne peut parler seul. La manière dont un enfant écorche ou non la langue, écrite ou orale, fait signe, dit quelque chose de son rapport à l’autre, à lui-même, à la langue, au monde et au langage. Pour toutes ces raisons, nous préférons nommer symptôme le trouble de parole ou de langage, parce qu’il est doublement pris dans le symbolique : c’est un symptôme qui porte sur du symbole. Ce symptôme, ce signe, il a une épaisseur symbolique, c’est une construction du sujet, et quand bien même le trouble du langage a une origine organique, une surdité par exemple, et bien chaque sujet a sa propre façon de vivre sa surdité, et la manière dont il manie la langue, la manière dont il investit la langue avec sa surdité retentit sur l’autre à qui il s’adresse, puisque on ne parle pas tout seul.

Puisque nous employons le terme de parole non pas au sens commun d’expression orale mais au sens de prendre la parole, nous utilisons le terme de « parole » à l’oral comme à l’écrit. En termes linguistiques, on parle d’« énonciation » pour désigner la parole, tandis que la langue est appelée « énoncé ». L’énoncé c’est le corpus du chercheur, d’un technicien de laboratoire. Pour faire comprendre quel est le champ de l’orthophonie, j’ai une formule -qui n’est pas méprisante pour les métiers du ménage – : les orthophonistes ne sont pas des techniciens de surface, je veux dire par là que pour prétendre soigner la parole et le langage, les orthophonistes doivent prendre en compte l’énonciation bien plus largement et plus profondément que l’énoncé. Tout énoncé est produit par un sujet s’adressant à un autre sujet. Le locuteur -celui qui prend la parole- parle d’une certaine place en s’adressant à l’autre qu’il considère comme autre, et qu’il met aussi à une certaine place, plus ou moins imaginaire, plus ou moins symbolique, plus ou moins réelle, c’est cela qu’on veut dire quand on parle de l’adresse.

Je ne parle pas seule et je ne parle pas autrement qu’ancrée dans ma subjectivité. Même dans la situation présente où j’énonce un monologue, c’est votre écoute qui construit mon discours, ma parole. Toute parole se construit de l’écoute qu’elle reçoit.

Donc nous avons montré comment le langage et la parole sont pris dans la subjectivité. Qu’en est-il de la langue? Pour que j’utilise la langue, il faut que je m’empare d’un mot de la langue et que je l’investisse, afin qu’il devienne un signifiant. Claude Chassagny disait que la dyslexie était un trouble de l’investissement des mots (Claude Chassagny a travaillé avec Lacan, et avec Dolto).

Comment se fait cette appropriation, cet investissement des mots ? Par la représentation, socle de la subjectivité. La représentation, c’est le passage par lequel se fait l’investissement du mot pour qu’il devienne un signifiant, ou pas. Je vais vous donner un exemple. Prenons le mot « chien ». Avant de connaître le mot « chien », j’ai vécu différentes expériences. Par exemple –j’invente– quand j’étais vraiment nourrisson, j’ai senti en rentrant à la maison l’odeur de poils de chien mouillés, et puis peut-être plusieurs semaines plus tard, j’ai entendu des cris, le son d’un aboiement venant de chez le voisin de ma grand-mère, et plusieurs mois après, en courant dans la ferme après un chien, je criais: « Poule! Poule ! », et on m’a dit « Ah ! non, non, non, ça c’est un chien ! » et voilà qu’on me donne ce mot « chien » qui va me faire entrer dans la catégorisation, ce qui est pareil ce qui est différent, moi qui croyais que le mot poule pouvait servir à tous les êtres vivants criant puant, tout ce qui bouge dehors à la campagne et qui sent et qui fait du bruit. Et puis petit à petit j’ai eu de multiples autres expériences, peut-être qu’une autre fois j’ai été terrorisée par un chien qui a surgi, m’a sauté dessus… et finalement, pour que j’investisse le mot « chien » et qu’il devienne un signifiant renvoyant à une infinité de signifiés, pour qu’il prenne toute son épaisseur symbolique, il a fallu que se nouent précisément ces différentes traces mnésiques, ces différentes expériences sensorielles, corporelles, émotionnelles et qu’elles se réunissent sous le terme « chien ». Mais pour que ce mot « chien » soit vraiment un signifiant, il a fallu encore que ces expériences soient refoulées, je ne les convoque pas à chaque fois. Le mot est toujours lié à ces expériences, il a son épaisseur, (Lacan parlait du « point de capiton ») mais il fonctionne détaché de ces expériences qui sont refoulées, c’est tout ce processus qui en fait un signifiant et qui permet d’accéder à un usage métaphorique, de comprendre des expressions telles que : « chienne de vie », « elle a du chien », etc… Et c’est ce qui manque dans la psychose.

C’est difficile pour chacun de nous de mettre en œuvre cette compétence humaine constitutive, qui fait notre identité d’humain, différent irréductiblement de l’autre humain, mon semblable. Le langage, on n’y échappe pas, mais chacun se l’approprie selon un chemin singulier tout au long de son histoire, dans la transmission qui lui en est faite dès la toute petite enfance. Et quand ça ne se passe pas bien,quand le maniement du langage est troublé, quand ce processus d’appropriation du langage est entravé, il faut y travailler avec un autre, et cet autre, ce deuxième, c’est l’orthophoniste, qui peut aussi avoir des ennuis avec les mots, mais il en a fait son métier.

Ce rapport au langage que nous construisons chacun de manière singulière est défini par ce que nous avons appelé des Marqueurs transversaux, dont je n’ai pas le temps de vous parler aujourd’hui mais qui sont des nœuds problématiques, quand ça achoppe quelque part. Vous voyez comme ce processus d’accès au symbolique est complexe, ne serait-ce qu’en se référant à l’étymologie des mots « symbole » et « symptôme ». Quand le rapport au langage est entravé dans son développement ou par un accident qui survient, ou par une anomalie organique, par un accident physique ou psychique, ce qui est visible, c’est la langue qui est tordue, incorrecte, étrange, ou bien la parole c’est-à-dire que quelquefois l’énoncé est tout à fait correct, d’un point de vue strictement linguistique, c’est conforme, mais l’adresse est étrange, ou bien on ne comprend pas le rapport de ce qui est dit avec la situation d’énonciation dans laquelle c’est proféré. Donc c’est un trouble de la parole, symptôme d’un rapport au langage entravé. Si on se réfère aux définitions que je vous donne là, vous voyez, troubles de la parole, troubles du langage, d’une certaine manière c’est l’appropriation du langage qui est troublé mais ça ne se voit, ça ne se manifeste que dans l’usage de la langue et/ou de la parole.

Je récapitule ce que nous venons de voir:les définitions de langue, parole, langage, la distinction essentielle énoncé/énonciation, l’étymologie des mots symbole et symptôme, le processus de représentation qui démontre comment l’investissement de la langue est lié à l’histoire, donc nécessairement subjectif, et nécessairement au carrefour du corporel et du psychique.

C’est la caractéristique principale de la parole -et même plus largement du langage, si on se réfère à l’image inconsciente du corps de Dolto- d’être au carrefour du corporel et du psychique, et c’est ça qui fait qu’on a des symptômes qui sont pris dans le corps, pris dans la langue : on dit « j’en ai plein le dos », « i m’prend la tête », « j’en ai la gorge nouée ». Le langage organise et structure notre rapport au monde, notre rapport aux autres, notre rapport à nous-mêmes, notre rapport à la langue et notre rapport au langage lui-même. Le langage est au carrefour du corporel et du psychique. C’est pour cela que les Ateliers Chassagny soutiennent que la thérapie du langage ( raccourci qui n’est pas très heureux vu tout ce qu’on vient de dire ) est nécessairement transversale, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de réparer une anomalie ou une autre, un trouble qui se situerait au niveau de la voix, de l’articulation, du lexique, de la syntaxe. C’est absurde : on peut analyser, décrire la langue, selon différents points de vue, différents niveaux quand on s’intéresse à l’énoncé, mais le soin des troubles de la parole et du langage ne peut être que transversal, l’approche est nécessairement globale, parce que le langage nous traverse et parce que le langage c’est mettre en lien. On ne peut pas saucissonner trouble par trouble (une orthophoniste pour rééduquer l’usage de la langue mathématique, un orthophoniste pour le bégaiement, un orthophoniste pour le zozotement…) sinon on perd de vue le sens de ce qu’on fait. C’est pour ça d’ailleurs que bien souvent dans les rééducations, on ne sait pas d’avance ce qu’on va faire… Vous verrez très bien sans doute dans toutes les présentations cliniques de cet après-midi, celle dont j’ai connaissance, c’est celle de Flore Courtès-Ludon, vous verrez très bien comment elle accompagne, elle suit, elle devance, elle est l’alliée de son patient et c’est après-coup qu’elle peut analyser ce qui s’est joué, faire des hypothèses, pour nous en transmettre quelque chose, et c’est comme ça, de chaque patient qu’on apprend chaque fois un bout de plus sur le langage comment ça marche et qu’on a envie d’en témoigner…

Alors maintenant nous allons essayer de réfléchir ensemble à ce qu’il y a de spécifique dans le lire/écrire. Parce que quand nous parlons d’écrit, nous ne distinguons pas, nous allons voir ce qu’il y a à distinguer, mais dans un premier temps, nous ne distinguons pas le lire/écrire, parce que finalement lire, c’est au langage écrit ce que l’écoute est au langage oral, et écrire, c’est ce que parler, s’exprimer, est à l’oral. Mais pour commencer je vous propose de prendre 10 minutes, chacun,individuellement pour noter par écrit pour vous-mêmes ce que c’est écrire pour vous, pour que vous vous mettiez, que nous nous mettions d’emblée dans cette position subjective de réflexion sur le langage et la parole, et donc en particulier écrire. Qu’est-ce que c’est écrire pour vous?

Nous aurions pu, évidemment, partager nos réflexions, et sans doute il en serait sorti l’essentiel de ce que je vais vous dire. C’est une expérience que j’ai fait récemment avec les étudiants de Lyon, des étudiants en orthophonie à qui je donne des cours en binôme avec Brigitte Brunel une autre formatrice des Ateliers Chassagny avec laquelle j’ai construit la trame de ce que je vous dis aujourd’hui, et c’était tout à fait formidable de voir qu’en partageant ce que chacun avait répondu à cette question « qu’est-ce qu’écrire pour vous ? », au bout du compte on arrivait à l’essentiel des notions que nous voulions transmettre. Tout ça pour vous confirmer encore combien les fondements théoriques sur lesquels s’appuie le positionnement clinique que nous ajustons à chaque patient, et non pas à chaque pathologie, combien cette théorie est issue de la clinique.

Ce qu’il y a vraiment de spécifique dans le langage écrit, dans le lire/écrire, c’est que l’autre, celui à qui je m’adresse, ou celui dont je lis l’énoncé, n’est pas là.

Celui auquel j’écris, l’autre n’est pas là, sinon, je lui parlerais. De la même manière, quand je lis,  je ne connais pas, peut-être même est-il mort, ou aux antipodes, celui dont je lis la pensée. Finalement, si on a en tête les définitions et les distinctions que je vous ai données: parole/langage, énoncé/énonciation, adresse/altérité, la seule différence vraiment entre l’oral et l’écrit, c’est qu’à l’écrit, l’autre n’est pas là. Je dois donc me le représenter. Et je dois supporter tout ce que m’évoque, consciemment ou inconsciemment, cette absence: séparation, distance, mort et donc je reviendrai là-dessus tout à l’heure, c’est une des trouvailles géniales de l’invention de la Technique des associations, invention de Claude Chassagny, technique d’écriture dialoguée par associations d’idées, c’est d’avoir inventé une technique d’écriture où on se parle par écrit, à mi-chemin entre l’oral et l’écrit. Donc ce qu’il y a de spécifique à l’écrit c’est que l’autre à qui je parle ou l’autre qui me parle n’est pas là.

Habituellement, la première chose à laquelle on pense à propos de l’écrit, c’est le code, l’orthographe, la transcription des sons et des relations entre les mots, c’est-à-dire les marques de grammaire qui ne s’entendent pas et qu’il faut apprendre. Cependant si on ne pense qu’au code, comme c’est souvent le cas, on reproduit la même disproportion qu’entre énoncé et énonciation : le code c’est l’énoncé, je ne peux pas inventer une langue, il faut qu’elle me soit transmise, les mécanismes je les ai appris, mais la difficulté n’est pas tant dans le code proprement dit que dans tout ce qu’il y a de spécifique au lire/écrire : l’absence, la distance, le degré supplémentaire de symbolisation.

Il y aussi une autre spécificité que vous connaissez bien dans l’écrit, c’est la trace. On dit que la parole s’envole et que les écrits restent, ça se discute, mais dans le sens qu’en effet on laisse une trace de soi qui transcende la distance, qui transcende l’absence, donc il y a quelque chose d’une transgression avec cette trace, et le rapport au corps n’est pas le même, ce carrefour corporel/ psychique du langage n’est pas mis en œuvre de la même manière à l’oral et à l’écrit. On ne peut pas dire qu’il y a plus ou moins de corps, mais différemment, de même que la place du corps est différente selon qu’on écrit à la main ou au clavier.

A l’écrit, il n’y a plus la voix, l’intonation, les mimiques, le contexte, le regard, les gestes, il n’y a plus que le texte. Voilà pourquoi le texte doit être exact, voilà pourquoi les fautes d’orthographe, d’ailleurs pourquoi dit-on faute et non erreur, peut-être parce que c’est pris dans le rapport à l’autre, c’est-à-dire pourquoi est-ce que je dois écrire correctement, en respectant le code, parce que je me soumets à la loi, aux règles de la langue, qui sont métaphoriques de la loi du langage, je m’y soumets parce que, puisque je ne suis pas là pour montrer à l’autre que je hausse le ton, que je chuchote, que je ferme les yeux… II n’y a que ma graphie, ou la police de caractère que j’ai choisie, qui transmet à l’autre mon idée, ce que je veux lui dire, mon message. Et si j’écris « le trains » avec un s à train, ou si j’écris « les train », sans s à train, l’autre ne peut pas savoir à quel endroit je me suis trompée, est-ce que c’est un s en trop ou un s en moins, il n’a pas le moyen de savoir.

Bien sûr que dans toute situation langagière il y a du malentendu, il y a de la polysémie, il y a de l’équivoque, ça n’existe pas autrement, parce qu’un signifiant renvoie toujours à une infinité de signifiés, néanmoins, je donne des signes à l’autre qu’il ne peut pas déchiffrer si j’écris avec un code qui m’est propre de même que si je parle en zozotant. Si ze parle en zozotant vous allez me comprendre mais vous allez être distraits, vous allez vous demander ce qui m’arrive : est-ce que ze me moque de vous, ze pourrais faire un effort, ou bien vous allez trouver que c’est sarmant… Pareil avec les fautes d’orthographe, ça distrait le lecteur et ça parasite le message.

Donc l’écrit c’est une trace qui doit faire sens pour l’autre en dehors de ma présence. On voit dans la rééducation comment certains enfants passent très laborieusement d’un discours imaginaire qui n’appartient qu’à eux à un récit partageable. Un des signes que le récit est partageable c’est qu’il peut s’écrire. Si je dis: « là il tombe là », s’il y a les gestes, s’il y a la situation, « là » je comprends, si c’est un énoncé écrit, « là » ça ne veut rien dire.

Donc revoilà, vous l’entendez bien, le symbolique dont il était question de manière plus générale dans les fondements théoriques. L’écrit suppose une prise en compte de l’autre plus symbolisée encore puisque je dois me représenter l’autre et ce qu’il faut que je lui dise pour qu’il me comprenne avec mon texte seul, qui doit être partageable, symbolique.

Quand le texte existe, quand je lis un texte, l’erreur est de croire qu’il n’y a que l’énoncé. Or, pour avoir du sens, l’énoncé lui-même contient tout ce qu’il tait, tout ce qui est entre les lignes, l’implicite. Pour qu’un texte fasse sens, il faut percevoir l’implicite, ne pas s’en tenir au pied de la lettre, à l’énoncé. Il faut percevoir et prendre en compte le non-dit contenu dans l’énoncé, comme à l’oral, sauf qu’à l’écrit, je n’ai pas l’enveloppe, le contexte, la situation d’énonciation. L’exemple le plus net ce sont les titres des journaux : si on s’en tient au code, à l’énoncé, c’est très court, réputé facile à lire, mais c’est l’inverse, car ce ne sont que des métaphores, des jeux sur la polysémie : par exemple, « La vague Marine », au lendemain des élections européennes. Dans le même ordre d’idée, il vous est sans doute déjà arrivé de recevoir un tract non signé, et bien ça ne veut rien dire, car tout dépend de qui ça vient, de quelle place l’énoncé est produit.

Un écrit correspond à un mouvement de pensée qui n’est pas le même qu’à l’oral. A l’oral, j’ai une impulsion à prendre la parole, je me lance sans savoir précisément ce que je vais vous dire, je ne peux pas préparer d’avance mon énoncé, tandis qu’à l’écrit je dois pour trouver, pour produire un texte, une phrase, ne serait-ce qu’un mot, je dois avoir un mouvement de pensée qui se traduit par une trace écrite, ça n’est pas de la copie, voyez, ça correspond à un mouvement de pensée en même temps qu’à une adresse vers l’autre.

C’est pour toutes ces raisons que l’on peut qualifier de bilinguisme les maniements d’une même langue à l’oral et à l’écrit. D’une certaine manière, ce n’est pas la même langue. Certaines personnes sont extrêmement sensibles à cela, à cet écart qu’il y a entre la langue orale et la langue écrite, écart qui ne tient pas seulement à ce que les profs de français enseignent sous les termes de « langage soutenu » et « langage familier ».

Naturellement, les empêchements au lire/écrire découlent de tout ce qu’on vient d’évoquer. Quand nous rencontrons des personnes qui sont empêchées de lire/écrire, comme d’ailleurs des personnes qui sont empêchées pour parler, il y a quelque chose de mystérieux. On se dit : « mais enfin, il n’a pas de problème sensoriel, il n’a pas de problème intellectuel, il n’a pas de problème cognitif, il a tout pour et pourtan t». Si on prend en compte la transversalité et la subjectivité du langage, on commence à y voir quelquefois un petit peu plus clair. La subjectivité du langage, c’est l’histoire, le désir, la singularité qui traversent l’appropriation et l’investissement de la langue, du langage et de la parole par chaque sujet.

La transversalité du langage, c’est ce qui fait qu’un trouble du langage écrit peut se résorber sans qu’on ait écrit, on peut travailler l’écrit sans écrire, de même qu’on peut travailler l’articulation sans faire de la gymnastique de la langue. De quoi peut-il s’agir ? Il s’agit face aux troubles de les considérer comme des symptômes, c’est-à-dire comme les signes d’une entrave dans le rapport au langage, c’est là que les Marqueurs transversaux nous sont utiles… Le premier groupe de Marqueurs ce sont précisément les indicateurs de distance, et on a vu qu’en effet la spécificité première de l’écrit par rapport à l’oral c’est la distance.

L’autre n’est pas là. Au moins inconsciemment ça évoque la séparation, la mort, la séparation du corps de la mère, la naissance, la place du père, la socialisation, ça évoque tout ce à quoi on renonce, les castrations symboligènes définies par Françoise Dolto. Il s’agit pour nous thérapeutes d’entendre dans un trouble du langage écrit les liens avec l’histoire du patient, dans le sens de laisser résonner en nous l’épaisseur du symptôme, ce qu’il nous évoque, pas comme un lien de causalité, mais comme le non-dit de l’énoncé.

L’écrit ça commence pour chacun de nous, dans nos cultures, par l’inscription à l’état-civil. C’est donc le premier signe, la première marque de notre identité,de notre filiation. Pour certains patients, l’empêchement au lire/écrire se noue à l’origine, dans le rapport au nom. Il est très fréquent de travailler avec les patients leur arbre généalogique.

Il y a aussi dans l’empêchement à écrire la place du corps, dont je vous ai dit qu’elle n’est pas la même que dans la parole orale. Bien souvent nous recevons en orthophonie des enfants qui ne peuvent pas s’arrêter de bouger, de faire, de parler. Pour pouvoir lire et écrire, il faut pouvoir s’arrêter de bouger et de parler. Ce qui à nouveau, pour beaucoup d’enfants, évoque irrésistiblement la mort, le silence.

Paul-Laurent Hassoun dit que la lecture est l’élaboration secondaire de la représentation orale, qu’elle suppose un degré supplémentaire de la représentation de choses, elle est la représentation tertiaire de la chose: avant que la lecture soit possible, il faut une trace mnésique qui aboutit à une représentation de chose, laquelle aboutit à une représentation de mot, laquelle aboutit à une représentation visualisée, celle du mot écrit.

Il y a malgré tout dans l’empêchement à lire et/ou écrire l’acceptation du code, plus ou moins métaphorique du rapport à la loi, à la loi du langage. Pour comprendre cela, je vous propose un détour par ce que Lacan appelait lalangue en un seul mot : le discours intérieur, qui n’existe pas mais qui est une illusion à laquelle nous tenons. Pour accéder au langage, à la parole, il faut en passer par un signifiant, un à la fois par-dessus le marché, lequel renvoie à une infinité de signifiés, grâce à la polysémie, grâce à la représentation, grâce à la subjectivité, grâce à l’histoire de chaque sujet, c’est ce que j’appelle le sablier du langage ( je mime avec les mains la forme d’un sablier = un triangle renversé qui par un étroit passage communique avec un autre triangle ). La loi du langage c’est se soumettre à la langue pour pouvoir transmettre à l’autre quelque chose de partageable. Si nous en revenons au code écrit, pour lire et écrire, il faut supporter la perte de lalangue en un seul mot. Pour approcher cela, pensez à ces situations où on a l’impression d’avoir un mot sur le bout de la langue : ce n’est pas seulement de l’oubli,c’est peut-être qu’il n’existe pas ce mot dans la langue ! Investir et respecter le code écrit, ça suppose une perte, un renoncement, un arrêt, un silence et se soumettre au code commun de manière encore plus contraignante insistante, exigeante que la langue orale.

Aux tout-débuts de l’apprentissage de l’écrit, c’est souvent ce qui angoisse beaucoup les enfants : Supporter l’arbitraire du signe alors qu’ils sont encore très attachés à la forme de la lettre, l’initiale de leur prénom par exemple, les phonèmes ou syllabes qu’ils ont investis et qui doivent pouvoir servir à dire tout autre chose. Je me souviens d’un enfant qui était sidéré de découvrir en CP l’écart immense que produisait la simple permutation de « il » à « li », ou de « elle » à « le », les questions de genre et de place dont on sait qu’elles occupent beaucoup l’enfance et au-delà… Pour accéder à ce qu’on appelle la combinatoire, il faut avoir la permanence du signifiant, et donc pouvoir le déconstruire, en syllabes, en phonèmes qui isolément ne portent pas de sens, c’est cela que Saussure a nommé la double articulation de la langue.

Et puis il y a quelque chose encore qui est en rapport avec le bilinguisme dont on parlait tout à l’heure, et que certaines personnes, des enfants jeunes ou des personnes en situation d’illettrisme, nous font comprendre : elles ont senti intuitivement qu’elles ne pourraient plus désapprendre à lire, et que leur rapport au monde en serait irrévocablement bousculé, changé et que leur identité, leur statut serait du même coup irrémédiablement différent.

Je vais vous parler d’une patiente qui venait me voir parce qu’elle était en situation d’illettrisme. Après plusieurs séances, elle commençait à investir l’écrit comme quelque chose la concernant et c’est elle-même qui me raconte qu’en allant chez le médecin chez qui elle va toutes les semaines depuis des années, pour la première fois, elle a vu l’écriteau: «ne pas sonner», elle l’a lu. Et pour la première fois, elle n’a pas sonné. Elle me raconte cela et nous comprenons ensemble que probablement,avant,elle considérait que l’écrit ne pouvait pas lui être adressé, ne pouvait pas la concerner, tout à coup elle a changé de statut, elle était à la place de quelqu’un qu’un écrit peut concerner et en effet elle n’a pas sonné en entrant chez le médecin.

Il y a aussi dans l’écriture tout ce qui se dévoile à l’insu de soi. Certes comme à l’oral, mais encore bien plus à l’écrit sans doute justement parce que pour écrire il faut un temps supplémentaire de distance, de réflexion par rapport à son mouvement de pensée, ça n’est pas la même impulsion que la parole et sans doute c’est cet écart, cette distance dont nous parlions qui crée une ouverture pour l’inconscient et souvent l’écriture est extrêmement intime. On ne dit pas des choses du même ordre, et on s’aperçoit qu’on ne maitrise pas, qu’il faut pouvoir laisser s’échapper ce qui s’écrit à notre insu, et qu’on est parfois surpris, voire bouleversé, de ce qu’on a pu écrire. Marguerite Duras disai t: « on écrit pour savoir ce qu’on écrirait si on écrivai t»…

En lecture c’est la même chose. C’est Bruno Bettelheim qui avait écrit un livre La lecture et l’enfant, dans lequel il avait analysé les erreurs de déchiffrage que faisaient les enfants, et il montrait que ces erreurs étaient en fait une création de sens de la part de l’enfant, en l’occurrence par rapport à des textes qui étaient qu’une telle vacuité, d’une telle niaiserie, que l’enfant ne pensait pas qu’on puisse s’adresser à lui pour ne rien dire et donc il cherchait à créer du sens. Il arrive quelquefois qu’on lise non pas ce qui est écrit mais ce à quoi on pense. Il faut, pour lire, être disponible à la pensée d’un autre.

Il y a aussi dans l’entrée dans l’écrit, c’est sans doute pour ça qu’on utilise cette expression, le temps, l’effort que ça demande, ce degré supplémentaire de symbolisation. L’incertitude de ce qu’on va lire ou écrire. Pour apprendre il faut accepter de ne pas savoir.

 

Pour terminer sur du concret, je vais vous présenter très brièvement la technique que nous utilisons avec tous les patients qui peuvent écrire, un tant soit peu, et qui s’appelle la Technique des associations. Cette technique, a été inventée par Chassagny à l’origine pour rééduquer les troubles du langage écrit, ce qu’on nomme communément dyslexie-dysorthographie. C’est une technique d’écriture parce que Chassagny pensait que l’écriture était première, avant la lecture, que le langage écrit se construisait par le faire, l’écrire. Je trouve que dans la clinique ça n’est pas toujours vérifié. Certains patients, enfants ou adultes,s’approprient la langue écrite d’abord par la lecture, c’est-à-dire d’abord par l’écoute de l’autre avant de produire soi-même.

Dans la pratique, la Technique des associations n’est pas réservée à la rééducation du langage écrit, transversalité du langage oblige. C’est en particulier une technique extrêmement précieuse pour le diagnostic orthophonique. Ce que nous nommons « série d’investigation » nous permet d’observer très finement à quel niveau du rapport au langage se situent les points forts, et à quel niveau se situent les points faibles, pour faire le bilan orthophonique. Et par la suite, quand la thérapie orthophonique est engagée, la Technique des associations, qu’on nomme couramment la série associative, est un outil technique qu’on utilise pour tous les symptômes, dès lors que le patient écrit, que ce soit maladie d’Alzheimer, bégaiement, troubles de la voix, difficultés en mathématiques… Je vais vous décrire comment ça se passe :

On place, entre le thérapeute et le patient, une feuille blanche, sans ligne. Chacun a un crayon, possiblement de couleurs différentes, et il va s’agir d’écrire, de se parler de cette manière assez particulière. Se parler en écrivant tout ce qu’on dit, sachant qu’on ne fait pas de phrase : c’est ce qu’on appelle le style pré-discursif : en-deçà du discours, pas de phrase au sens de longues phrases mais au sens strictement grammatical « Mange ! » c’est une phrase, donc… vous allez voir je vais vous expliquer… C’est le thérapeute qui est en charge du rythme, pour ça il va faire avant chaque mot écrit un petit trait, sur le côté gauche de la feuille pour le patient, ils sont face à face, un petit trait qui est le trait d’union entre l’oral et l’écrit, et le patient va écrire tous les mots qui seront donnés, soit par le thérapeute, soit par le patient. Pour commencer, l’un ou l’autre -la première fois c’est le thérapeute pour montrer le style –donne le premier mot qui lui passe par la tête. Par exemple, je dis « la forêt », le patient écrit « la forêt », et puis tout de suite après ça me fait penser à un écureuil, et ainsi de suite jusqu’à la rupture de rythme, que l’on marque par un trait plus long :

– La forêt…

– un écureuil

– il est roux

– je l’ai aperçu

– il est agile

– il a disparu

—————————–

Et le dialogue se fait de cette façon,sans faire de phrases, en marquant des traces d’un mouvement de pensée qui se fait par associations d’idées, traces qu’on nomme « des pas ». La conversation s’engage de cette façon, l’alternance se fait de manière souple, pas prédéterminée, et ce sont mes mots qui vont faire penser l’autre, et ce sont les mots de l’autre qui vont me faire penser. On laisse toujours blanc l’espace à droite des pas qui s’écrivent, ce blanc symbolise l’implicite, le non-dit, le secret, l’intime, l’indicible, tout ce sans quoi il n’y a pas de parole. La parole tait autant qu’elle dit, donc on laisse le blanc à côté des mots écrits. Et quand une erreur survient, on travaille en autocorrection, c’est à dire qu’on essaie de retrouver un mot, un pas qui est en rapport avec ce qui précède, avec le mot qui vient d’être échoué, qui a été écrit de façon qui n’existe pas, dans une forme qui n’existe pas, donc que le thérapeute raye, puis il essaie de donner au patient des mots qui vont lui faire retrouver ce nouage signifiant/signifié qui lui a échappé à ce moment-là.

Voilà la théorie qui sous-tend cette technique. C’est très brièvement décrit, le séminaire de formation à cette technique dure deux années entières, mais évidemment, une fois qu’on est formé, on est constamment en groupes cliniques pour affiner cette pratique, parce qu’il va s’agir d’ajuster son positionnement thérapeutique : qu’est-ce que je dis, qu’est-ce que je ne dis pas ? Il faut que j’aie une évocation assez fluide mais néanmoins il faut que je parle pour de vrai, authentiquement, que je m’engage dans la relation langagière, mais que pour autant je n’envahisse pas l’autre avec mes problématiques personnelles, ou avec des associations qui ne pourraient pas lui être adressées, parce que ça ne serait pas dans le cadre de notre rencontre.

Il existe plusieurs types de séries, Flore fera allusion cet après-midi à la série de construction, destinée aux personnes qui ont très peu d’acquisition à l’écrit. Avec les quelques lettres, quelques syllabes, quelques mots qu’a le patient, on va lui montrer qu’en permutant, en inversant, en combinant, il peut lui-même déjà produire plus qu’il ne pensait en être capable des mots qui vont faire penser l’autre. La première série que je vous ai décrite se nomme verticale, parce que la feuille est tenue verticalement entre le patient et le thérapeute. On utilise aussi la série éclatée, pour laquelle la feuille est tenue horizontalement : le thérapeute trace un cercle au milieu de la feuille, à l’intérieur il écrit mer par exemple. Et cette fois les associations d’idées seront toutes en rapport avec le mot central, et toujours en style pré-discursif sans faire de phrase. Le mouvement de pensée n’est pas le même qu’en vertical puisque les associations d’idées sont toutes en rapport avec le premier mot, dans la polysémie, et les associations de sons, c’est-à-dire qu’autour de « la mer », on peut écrire « ma mère », « un amer », « l’amertume », « un amérindien », « noire », « morte », « Méditerranée », « l’océan », « un marin », « un détroit », « les poissons » etc…

Voilà j’espère ne vous avoir pas trop assommés et vous avoir transmis les choses de telle manière qu’elles font germer des questions et des associations avec votre clinique. Je vous remercie de votre écoute.

 

II.  L’entrée dans l’écrit : à chacun son chemin

Flore Courtès Ludon, orthophoniste

Je vais vous présenter deux vignettes cliniques: deux cheminements singuliers et particuliers dans l’appropriation du langage écrit.Tout d’abord Sarah, puis Fatou.

J’ai pris le relais de Marion Vincent dans le suivi orthophonique de Sarah, en Juin. Sarah avait alors 10 ans et était scolarisée en CLIS. Elle est la dernière d’une fratrie de 3 enfants, elle a deux frères aînés bien plus âgés qu’elle, de 24 et 26 ans.

Je vais donc vous parler de comment Sarah, au cours de cette année scolaire et au fil des séances, s’est montrée de plus en plus attentive aux traces écrites, combien celles-ci ont pris sens et comment en parallèle sa conscience du temps s’est affinée, sa prise de parole a été de plus en plus personnelle, et son langage s’est précisé et structuré ( tant sur le plan articulatoire, lexical que morphosyntaxique ).

Je vais donc vous faire part des étapes principales qui témoignent de cette évolution:

Tout d’abord quelques mots pour vous dire comment était Sarah avant ces changements .

Le plus souvent, Sarah arrivait en séance et se précipitait sur le placard, l’ouvrait. Je lui demandais alors de venir s’asseoir, qu’on prenne le temps de se retrouver, en lui disant qu’elle avait peut-être des choses à me dire, en tout cas qu’elle pouvait réfléchir à ce qu’elle voulait faire et m’en parler. Alors Sarah pestait, soufflait, soupirait, semblant dire que vraiment je lui en demandais trop.

Sarah s’exprimait dans un langage minimal réduit aux informations principales, se souciant peu de la morphosyntaxe, dans une parole très floue sur le plan articulatoire : seuls les mots importants étaient présents, le « je » était souvent absent.  Il est important de préciser qu’elle n’était pas du tout repérée dans le temps. Elle commençait à lire des mots simples; ainsi elle avait compris et intégré les mécanismes du code écrit (mécanisme d’association syllabique ainsi que de nombreuses relations grapho-phonémiques). Mais ce n’est pas pour autant qu’elle investissait le langage écrit, elle se pensait dans l’incapacité de lire et écrire et pour elle ce savoir était chez les autres.

Voici les étapes:

En Octobre, Sarah m’a parlé d’un voyage aux Antilles qu’elle allait faire avec sa mère pour rendre visite à sa grand-mère maternelle et certaines de ses tantes. Elle a alors spontanément précisé la date et je me suis rendue compte, à ma grande surprise, que de séance en séance, elle évoquait la même date et demandait à la repérer sur le calendrier. C’est à ce moment-là que Sarah s’est mise à réclamer le calendrier et à s’y référer pour repérer tout d’abord les vacances, ensuite les anniversaires des différents membres de sa famille puis les jours fériés.

En parallèle, Sarah choisissait des livres de Max et Lili que je lui lisais. Elle a commencé à relever certains mots qu’elle reconnaissait. Elle a commencé à s’intéresser aux notes que je prenais dans son dossier. Un jour, dans la salle d’attente, Sarah s’intéresse aux affiches et relève, toute étonnée, mon nom sur l’une d’elles : « oh Courtès ? ! » Elle relève un autre nom à côté : « oh Bonnard ? » et se questionne à son sujet. Puis, en séance, Sarah s’intéresse à la carte du monde et recherche les Antilles. Ce même jour, elle écrit « trois » en lettres, tout en s’efforçant de bien le prononcer et ceci spontanément.

Elle a de plus en plus recours, spontanément, à l’écrit. Sarah commence à me demander où tel et tel mot est écrit quand je lui lis un livre de Max et Lili. Un autre jour, Sarah me montre sur le plan d’évacuation du 1er étage que l’espace à côté de la salle d’attente pour lequel il est écrit « jeux » n’est plus un espace de jeux. J’avoue avoir été alors particulièrement étonnée par la capacité de Sarah à situer sur le plan la salle d’attente et l’espace de jeux.

La séance d’après, alors que je relève qu’elle grandit, Sarah me répond : « à la maison je suis petite, parce qu’on m’appelle toujours ma puce, mon bébé, mon sucre d’orge ». C’est alors l’occasion pour elle de repérer les différents statuts qu’elle peut avoir selon qu’elle soit dans sa famille, à l’école, au CMPP. Récemment, elle m’a annoncé son nouvel âge: 11 ans, elle s’est mise à écrire « des 11an s» pour dire anniversaire des 11 ans.

Je lui ai alors proposé d’écrire : « j’ai 11 ans », ce qu’elle a fait puis elle m’a dit: « c’est mieux, j’avais 10 ans mais j’ai 11 ans » puis elle a fini par dire : « je n’ai plus 10 ans » que je lui ai écrit, comme si chaque mot prenait tout son sens et qu’en le disant elle en faisait le deuil. Elle a ensuite écrit tous les prénoms des enfants de sa CLIS en précisant leurs âges et leur passage pour certains au collège, une manière pour elle de se préparer à cette échéance et de l’annoncer. Puis, elle m’a rappelé le livre qu’elle avait choisi la séance précédente et m’a demandé de vérifier dans mes notes le titre du livre, il s’agissait bien de « Lili est fâchée avec sa copine ». Pour la première fois, elle a voulu jouer le personnage de Lili et lire les bulles. Elle s’en est montrée pleinement capable, par moments elle souhaitait même prendre mon relais pour d’autres personnages.

Qu’est-ce qui a permis à Sarah de s’affirmer en tant que sujet, capable de prendre la parole à l’oral ou à l’écrit et de s’engager dans la lecture, pouvant ainsi prêter sa parole à des personnages tels que Lili dans les «Max et Lili» ou encore entrer dans la pensée d’un auteur pour lire des récits?

A la rentrée de Septembre, un terrible secret a été levé pour Sarah. En effet, suite au dépôt de plainte d’une autre jeune fille véhiculée par le même chauffeur de taxi qu’elle (pour les trajets domicile-CLIS), Sarah a révélé à sa mère puis à la police les abus sexuels dont elle avait été victime.

Suite à cette révélation et suite à la demande de sa mère, après en avoir parlé en synthèse, Sarah a été reçue par Juliette Crémon, psychologue. C’est donc ensemble que nous avons réfléchi à ce qui nous a semblé opérant dans ce changement, voici ce que nous avons à en dire :

C’est la parole d’une autre qui lui a permis de prendre la parole en son nom et d’être entendue et c’est sa déposition qui a permis à une autre petite fille d’être auditionnée à son tour. Si je me permets d’insister là-dessus c’est que pour Sarah cela a été très important, que grâce à elle, cette autre fille ait pu parler. Elle a été prise en compte en tant que sujet dans le cadre des auditions. Sa parole a été entendue, prise en compte, transcrite et a eu des effets.

De plus, quelque chose de la loi symbolique a été posée qui est venu faire tiers. Sarah commence à entrer dans une symbolisation œdipienne, son père est maintenant présent psychiquement et commence à l’être dans son discours. Ainsi elle a pu investir pleinement le langage oral, (qui est venu faire tiers entre elle et sa mère) et grâce à l’appui retrouvé de la fonction paternelle elle a pu passer de la langue maternelle à la langue sociale et ainsi accéder au langage écrit.

 

Je vais maintenant vous parler de Fatou, de son cheminement personnel à travers quelques albums de la littérature jeunesse et de comment Fatou, au fil de mes lectures de ses albums préférés, s’est peu à peu mise à lire puis à écrire. Comment elle a d’abord été dans une lecture d’images avec parfois des observations très fines ( Fatou m’a souvent fait découvrir des détails dans les illustrations ) puis comment, peu à peu elle a commencé à prêter attention au texte écrit, reconnaissant tout d’abord le nom du personnage principal puis d’autres petits mots et comment ensuite elle a pris mon relais, nous avons ainsi commencé à lire à deux voix. Par la suite, au sein d’une même séance, Fatou pouvait me demander de lui lire un livre puis nous en lisions un à deux et elle m’en lisait ensuite un.

Fatou est la deuxième d’une fratrie de 4 enfants: elle a une sœur aînée qui est d’un autre père, et un frère et une sœur qui sont jumeaux et ont deux ans d’écart avec elle. L’histoire de Fatou est marquée par des absences et des ruptures: tout d’abord celle de son père qui vit en province et qu’elle ne voit que très rarement, ensuite celle de sa sœur aînée qui est partie vivre en Belgique chez son père alors que Fatou était entrée depuis peu au CP.

Je vais maintenant vous détailler quelques moments qui m’ont semblé particulièrement importants et opérants dans son accès à la lecture et l’écriture :

A l’issue de la première année de suivi, en Juin, peu de temps avant la rupture des grandes vacances, Fatou qui terminait sa moyenne section de maternelle, se mit à introduire une lettre dans ses histoires avec les bonhommes Duplo. Il s’agissait en fait d’un petit morceau de papier blanc plié en deux. L’important ne semblait pas être le contenu mais davantage l’objet-lettre en lui-même. Fatou la rangeait dans un des tiroirs de la maison Duplo. Une fois le temps de jeu terminé, nous rangions alors cette lettre précautionneusement dans une enveloppe à l’intérieur du dossier. Tout au long de son année de grande section, Fatou a continué de mettre en scène des histoires avec les « Duplo ». La lettre était toujours présente dans le tiroir.

Au fil des années, j’ai lu à Fatou de nombreuses histoires qui me semblaient en écho à sa réalité, elle redemandait souvent les mêmes, je vous cite celles qui m’ont semblé les plus importantes: il y a eu tout d’abord « Grosse colère », puis « T’choupi a une petite sœur » mais celle que je lui ai particulièrement lue et qui me semble l’avoir accompagnée tout au long de son année de CP, c’est « L’ami du petit tyrannosaure ».

Un jour, en Avril, je lui lis « Petit Musée », il s’agit de 149 mots classés par ordre alphabétique associés à 149 tableaux de peintres célèbres. Sur chaque double page apparaît un mot et en face un tableau ou un élément d’un tableau. Ce qui a intéressé Fatou dans ce livre, c’est ce qu’il y avait écrit en tout petit au bas de la page : le nom du peintre, ses années de naissance et de mort, puis le nom du tableau, le musée et la ville où il est exposé. C’est alors l’occasion de parler de la naissance et de la mort.

Après avoir refermé ce livre, Fatou me parle alors pour la première fois de son papi et de sa mamie et me précisent qu’ils parlent le bambara.

Pour Fatou, il me semble que l’absent a toujours été très présent et j’ai le sentiment que de même que dans « Petit musée », son attention s’est fixée sur le nom du peintre et sur ses années de vie, elle a eu très vite conscience que derrière un livre il y avait toujours un auteur. Encore maintenant, elle met un point d’honneur à lire le nom de l’auteur et me le rappelle si je l’oublie. Il me semble que pour elle, lire c’est aller à la rencontre d’un autre, absent, et faire lien avec lui.

C’est après cette séance que Fatou s’est montrée de plus en plus attentive à l’écrit et qu’elle a développé une analyse de plus en plus fine.

En Mai, Fatou prend les deux livres de « T’Choupi a une petite sœur », celui au format habituel et un autre plus petit, Fatou aimait bien prendre ces deux livres et me demandait de lui lire les deux. Cette fois-ci, elle s’assure page après page qu’il s’agit bien du même texte et des mêmes illustrations. En Juin, alors que je lui lis une fois de plus « L’ami du petit tyrannosaure », Fatou reconnaît des mots tels que Mollo (le personnage central) et commence à en déchiffrer d’autres. En Septembre, alors que Fatou est au CE1, elle prend mon relais pour lire le titre et le début de l’histoire. En Octobre, elle me dit au sujet d’un livre : « Je peux me le lire à moi-même ».

En Février, Fatou exprime le désir d’envoyer une lettre à son père. Nous parlons de l’adresse de son père, elle me dit qu’elle ne la connaît pas, nous convenons alors d’en parler lors du prochain rendez-vous avec sa mère. C’est ainsi que j’apprendrai que sa mère n’a pas l’adresse de son père et qu’il n’est pas question qu’elle lui demande car il risquerait de s’imaginer que c’est pour lui demander une pension.

Au cours de cette année, j’ai souvent proposé à Fatou d’écrire sous la forme de séries de construction au tableau, ( il s’agit de jouer avec les lettres, de proposer d’en assembler 2 ou 3, et d’opérer des substitutions ou inversions et de faire ainsi émerger un mot à partir d’une syllabe ) les séries étaient souvent très courtes, elles débouchaient sur un mot et s’arrêtaient là le plus souvent.

Autant Fatou investissait la lecture, autant elle s’engageait peu dans l’écriture. Quand Fatou se mettait à écrire spontanément, c’était le plus souvent en lien avec des livres ; ainsi en Avril, après avoir lu un livre de Spot, Fatou propose que nous écrivions au tableau des noms de chien. En Mai, en lien avec le livre « N’oublie jamais que je t’aime » où il est question des mots « doux » et des mots « durs », Fatou propose que nous écrivions en alternance, toujours au tableau, des mots doux. Nous les écrirons ensuite sur une feuille afin d’en laisser une trace dans le dossier.

Au mois de Novembre de cette année scolaire, Fatou me raconte qu’elle est allée à la bibliothèque et qu’elle a emprunté un livre qui s’appelle: « Lili va faire une bombe ». Je m’étonne de ce titre et comprends qu’il s’agit en fait de « Lili va faire une boum ». Cependant je réalise combien ce titre transformé traduit les sentiments qu’elle ressent à l’égard de son frère et de sa sœur et certainement son envie de tout faire exploser car juste avant elle m’avait dit à leur sujet : « j’en peux plus de ces gosses, j’ai envie de les taper. » Dans cette même séance, je propose à Fatou d’écrire tout d’abord en série de construction, par un jeu de permutation des voyelles: la, le, li, lu; je lui demande si une de ces syllabes lui fait penser à un mot, elle propose Lili puis se met à écrire des titres de livres de Max et Lili et à en imaginer d’autres. Une fois de plus,ses lectures lui ouvrent la voie de l’écriture et viennent nourrir ses écrits.

Il me semble que dans tout le travail avec Fatou, j’ai eu une fonction d’étayage très importante, qui s’est traduite aussi dans le « côte à côte » dans lequel nous étions pour lire les albums ou encore face au tableau pour écrire et dans l’alternance de nos prises de parole à l’écrit ou de nos lectures.

Un jour, Fatou a souhaité écrire une histoire, elle m’a étonnée par son souci du code écrit et son application tant au niveau de l’orthographe lexicale, grammaticale, de la ponctuation que du tracé des majuscules. La séance suivante, elle a fait l’illustration et en a fait un livre. Elle m’a alors demandé si elle pouvait mettre son livre au milieu des autres sur l’étagère. Elle avait tout d’abord écrit son prénom mais la séance d’après elle a ajouté son nom. Par la suite, elle le cherchait souvent, au milieu des autres livres et avait plaisir à le relire.

Pour terminer, je vais vous faire part d’une des dernières séances où nous nous sommes retrouvées assises l’une à côté de l’autre en train de lire le même livre, chacune dans notre tête, il s’agissait de « Pomélo grandit ». Peut-être était-il temps pour nous de nous séparer?

Avant de clore ma présentation, je voudrais vous dire quelques mots de « L’ami du petit tyrannosaure » livre par et à travers lequel Fatou est devenue lectrice tant il me semble refléter son cheminement. Je vais vous le résumer rapidement mais je vous invite vivement à le lire tant c’est un trésor de la littérature jeunesse, écrit par Florence Seyvos et illustré par Anaïs Vaugelade.

C’est l’histoire d’un petit tyrannosaure qui n’avait plus d’amis parce qu’il les avait tous mangés. Il était très triste et se croyait tout seul quand Mollo arrive. Mollo lui explique qu’il a le pouvoir de se rendre immangeable et lui dit qu’il a très envie d’être son ami mais que pour commencer il va lui faire un gâteau grâce à sa valise cuisine et ainsi de gâteau en gâteau, non sans accident, le petit tyrannosaure va apprendre à faire un gâteau et ils pourront ainsi être amis pour la vie. Dans cette histoire, il est question de désirs, de comment les différer, comment apprendre la patience, comment rompre avec le pulsionnel et les processus primaires pour passer à des processus secondaires tels que la fabrication d’un gâteau. Mollo se place d’emblée comme l’allié du petit tyrannosaure, il a foi en lui et en ce qu’il sera capable de devenir et de faire plus tard, c’est son désir qui soutient celui du petit tyrannosaure et l’aide à tolérer la frustration.

Il y a un autre livre que Fatou avait plaisir à relire régulièrement et qui faisait partie de ses favoris, il s’agit de « Aboie Georges ». Cette histoire me semble être une métaphore de la relation entre Fatou et sa mère, dans le sens où elle ne répondait jamais aux attentes de sa mère ( durant tout le temps où j’ai suivi Fatou, leur relation oscillait entre des moments de retrouvailles, d’apaisement, d’harmonie et des moments où sa mère était en questionnements à l’égard de Fatou ou encore déçue, énervée… ) comme ce chien que sa mère veut faire aboyer et qui pousse tous les cris des animaux sauf bien-sûr celui du chien. Sa mère l’emmène alors chez le spécialiste, le vétérinaire, mais saura-t-il tout résoudre ? Je vous laisse découvrir la chute. Il est question de langage, de symptôme, de comment concilier sa singularité avec l’accès au langage social.

Pour conclure, je citerai une phrase de G.Cotté, psychologue de l’équipe du CMPP d’Amiens écrite dans « Ecriture et Séparation » parue dans Neuropsychiatrie de l’enfance en 1994 : On n’apprend pas à écrire à l’enfant, tout au plus est-il nécessaire, le moment venu, de lui proposer les codes propres à sa culture pour qu’il se les approprie.

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